Parcours
De Max Linder à Luc Moullet, retrouvez les réalisateurs qui ont truffé Paris de gags insolites. |
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"L'exactitude même des gags, de leur idée comme de leur exécution, n'était là que pour faire passer dans le monde une tempête
de liberté."
Petr Kral Témoins d'une époque révolue, les films de Max Linder, Roméo Bosetti ou Jean Durand, tournés en grande partie en extérieurs,
font revivre le Paris des années 1900-10. Les fiacres, les tramways et les omnibus, dont certains sont encore tirés par des
chevaux, y côtoient les premières automobiles. Les petits métiers, cireurs de chaussures ou marchands ambulants de quatre
saisons, font également partie du "décor", tout autant que les hauts-de-forme, chapeaux melons et chapeaux à plume qui coiffent les têtes des "honnêtes" Parisien(ne)s.
Les films burlesques de cette "Belle Epoque" défient avec bonheur l'ordre établi : dans le Paris 1900, les célibataires ou les jeunes mariées font de l'œil à tous les
passants (Une dame vraiment bien, Le tic), les garçons de café fantasment sur un verre de vin ou d'absinthe (Le songe d'un garçon de café), les domestiques se trémoussent sur des rythmes endiablés (La Bous Bous Mie), les clochards se font convier à des soirées de la haute société (Une soirée mondaine)… Mais les forces de l'ordre ne sont jamais bien loin, qu'il s'agisse d'un agent de police doté d'un bien utile bras extensible
(L'agent a le bras long) ou d'un inspecteur chargé de vérifier la longueur des jupes des Parisiennes (Polycarpe inspecteur de la mode) !
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La plupart de ces films burlesques sont fondés sur quelques procédés comiques récurrents, souvent absurdes : des gags à répétition
(Je fais du vélo avec ma femme, Calino s'endurcit la figure), des bagarres (Bébé joue au cinéma), des courses-poursuites (L'homme aimanté). Certains réalisateurs, en marge de ce cinéma burlesque, comme Emile Cohl ou Gaston Ravel, ont également exploré d'autres
voies, dans le domaine de l'animation (Le peintre néo-impressionniste) ou en expérimentant des cadrages incongrus (Des pieds et des mains).
Malgré les années, ces pochades sont parvenues à garder toute leur saveur. Car, "plus que des histoires, [ce] sont de simples chapelets de gags par rapport auxquels le canevas dramatique n'a que l'apparence
d'un prétexte. Leur cohérence n'est pas celle d'un récit linéaire - ou de l'évolution d'un caractère - mais celle d'un poème,
dont les gags seraient autant d'images ou de vers." (Dictionnaire du cinéma, sous la direction de Jean-Loup Passek)
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Le premier film comique de l'histoire du cinéma, L'arroseur arrosé, a été réalisé par Louis Lumière en 1895. Il sera suivi d'autres "gags" filmés par les opérateurs Lumière, comme cette vue "documentaire" sur la crèche de Porchefontaine qui sera perturbée par un drôle d'événement...
L'arroseur arrosé fait partie du programme concocté par les frères Lumière pour la première séance de projection cinématographique qu'ils organisent
au Grand Café, boulevard des Capucines, à la fin de cette année 1895. Georges Méliès, le célèbre prestidigitateur, est dans la salle. Instantanément séduit, il se propose d'acheter le fabuleux Cinématographe...
Cette séance au Grand Café deviendra une scène-clé de son parcours, que Jean-Christophe Averty reconstitue avec soin dans
Le magicien de Montreuil-sous-Bois (1964).
Deux ans après cette découverte, Méliès ouvre un studio à Montreuil. Producteur, réalisateur, acteur, décorateur, monteur
: il endosse toutes les casquettes pour créer son propre univers cinématographique, foisonnant de gags et de trucages loufoques.
De la Place de la Bastille au Cortège du boeuf gras passant place de la Concorde, Méliès réinvente la capitale depuis son studio. Il parviendra même à réaliser un fantastique Voyage dans la lune.
Georges Franju dresse un portrait chaleureux du Grand Méliès (1952), un documentaire constitué d'extraits de films et de saynètes dans lesquelles le rôle du réalisateur est joué par
son propre fils.
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Peu après Georges Méliès, Max Linder crée la silhouette d'un dandy drôle et mélancolique. "Max", son double à l'écran, remporte un grand succès : les célèbres et désopilantes aventures de son personnage, mais aussi celles
de L'étroit mousquetaire (1922) et de Sept ans de malheur (1923), feront de lui la première "star" du cinéma burlesque.
Plusieurs documentaires, dont un réalisé par sa fille (Max Linder, 1978), évoquent son parcours à la destinée tragique : il se suicide avec sa femme en 1925.
"Il fut la première grande star de l'écran, et ses triomphes - à Paris comme à Barcelone, à Londres comme à Saint-Pétersbourg
- dépassèrent tout ce qu'on peut imaginer. Petit provincial venu tenter sa chance à Paris au début du siècle, il avait besogné
sur les scènes de l'Ambigu et des Variétés, avant de trouver son style. [...] C'est Pathé, aidé de Lucien Nonguet, qui eut
l'idée de lancer sur le marché ce gandin tiré à quatre épingles, à la silhouette longiligne contrastant avec les rondeurs
comiques à l'honneur à l'époque." (Dictionnaire du cinéma, Jean Tulard)
De l'autre côté de l'Atlantique, Charles Chaplin admire "Max" et façonne à son tour sa silhouette : celle d'un élégant vagabond qui le rendra célèbre au-delà des frontières et des frasques
de sa vie privée. En 1923, il réalise L'opinion publique, le seul film dans lequel il ne joue pas, qui est aussi l'un de ses rares films prenant pour décor Paris. Ce mélodrame, en
marge de son comique habituel, déclenchera l'intérêt d'Ernst Lubitsch pour la comédie de mœurs.
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Caricaturiste dans la presse avant de devenir un pionnier du cinéma d'animation, Emile Cohl se distingue par son inventivité
et son humour. Engagé en 1908 chez Gaumont, il y écrit de nombreux scénarios et multiplie les expérimentations. Animation
de dessins, de marionnettes, de papiers découpés, mélange de prises de vues réelles et d'images animées : toutes les techniques
sont bonnes pour mettre en scène Le songe d'un garçon de café (1910), les pensées inavouées d'un petit groupe de bourgeois (Les lunettes féériques, 1909), ou faire s'animer, avec beaucoup de fantaisie, des peintures abstraites (Le peintre néo-impressionniste, 1910).
Un passionnant Hommage à Emile Cohl, réalisé par Fabien Ruiz en 1990, est consacré à cet inventeurméconnu, qui a su marier avec génie dessin animéet prise de
vue directe.
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En 1905, Louis Feuillade succède à Alice Guy comme directeur artistique des établissements Gaumont. Il le restera jusqu'à sa mort, en 1925. Pour ce
réalisateur et scénariste prolifique, "un film n'est pas un sermon, ni une conférence, encore moins un rébus, mais un divertissement des yeux et de l'esprit". (Dictionnaire du cinéma, sous la direction de Jean-Loup Passek)
Feuillade met en pratique cette "doctrine" en expérimentant tous les genres "divertissants" : le cinéma burlesque, le "ciné-roman", le film policier, le vaudeville, le film historique... Ses bandes burlesques, comme la généreuse Bous Bous Mie (1909), les séries Bébé (1911) et Bout de Zan (1913), constituent un aspect méconnu de son œuvre que nous vous invitons à découvrir.
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Roméo Bosetti, pour qui Louis Feuillade a réalisé de nombreux scénarios, débute dans le milieu du cirque avant d'être employé
comme acteur chez Pathé, puis chez Gaumont. Il excelle tout particulièrement dans un comique de répétition, que l'on retrouve
notamment dans L'homme aimanté (1907), Une dame vraiment bien (1908), Le tic (1908) et L'agent a le bras long (1909).
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Autre réalisateur et acteur particulièrement inventif, Gaston Ravel a mené sa carrière en France, en Italie et en Allemagne.
L'un de ses premiers films, Des pieds et des mains (1915), laisse déjà transparaître son génie de la mise en scène.
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Venu du café-concert, Jean Durand entre chez Gaumont en 1909 pour y réaliser de nombreux films cocasses, dans un esprit d'improvisation
et de saccage loufoque. Grand poète de l'absurde, il dirige ainsi la série des Calino, entouré d'une troupe de comiques cascadeurs, les "Pouics", puis la série des Onésime où les gags se succèdent à un rythme effréné, les courses-poursuites s'enchaînent et les décors s'effondrent !
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Jacques Feyder, après avoir joué entre autres chez Méliès et Feuillade, commence sa carrière de réalisateur avec de petits
films comiques, parmi lesquels se distingue La faute d'orthographe (1918). De son côté, Léonce Perret réalise une célèbre série burlesque produite par Gaumont : les Léonce, dans lesquels il se met en scène, de 1909 à 1915.
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Au sortir de la guerre de 1914-18, Henri Diamant-Berger réalise pour Pathé ses premières aventures rocambolesques en compagnie
de Maurice Chevalier, qui est à l'affiche de plusieurs de ses films, dont Une soirée mondaine (1917), L'affaire de la rue l'Ourcine (1923) et Par habitude (1923).
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Deux petits films anonymes, totalement fantaisistes et burlesques, utilisent avec bonheur tous les ressorts d'un comique visuel
typique du cinéma muet, où les gags se succèdent à un rythme endiablé : Je fais du vélo avec ma femme (1911) et Polycarpe inspecteur de la mode (1911).
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Bien que la Première Guerre de 1914-18 porte un coup brutal à la production cinématographique française, l'avènement du parlant,
dans les années trente, ouvre de nouvelles perspectives, et fait évoluer le burlesque vers une formule plus complexe, la comédie
loufoque.
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A l'instar de Chaplin inventant Charlot, Jacques Tati, ancien acteur de music-hall, invente Monsieur Hulot et se fond complètement
dans ce personnage à la silhouette dégingandée.
Enchaînant les petites perles visuelles et sonores, de Gai dimanche (1936), où il interprète l'un de ses premiers rôles, à Trafic (1970), son avant-dernier film, Tati dénonce avec humour et finesse l'absurdité de certains aspects de la vie moderne, en
prenant pour décor Paris ou sa proche banlieue.
Ses films sont parsemés de gags subtils, naissant du décalage entre ce poète fantaisiste et un environnement hostile. Tati
attache une grande importance à la bande sonore de ses films : chaque son est un effet, joué comme une note sur une partition.
La voix elle-même est un bruit, parfois incompréhensible ; seuls quelques mots sont isolés et se détachent comiquement.
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L'humour de Raymond Queneau inspire Louis Malle, qui parsème Zazie dans le métro (1960) de ses trouvailles phonétiques et de gags rappelant les grandes heures du cinéma burlesque : ainsi, une extraordinaire
bataille de choucroute constitue le point d'orgue du film…
Six ans plus tard, Jean Herman (le futur écrivain Jean Vautrin) réalise une belle adaptation du Dimanche de la vie (1966), avec Danielle Darrieux. Queneau signe les dialogues de ce film sensible.
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On rit aussi beaucoup devant l'histoire revisitée par le burlesque. Ainsi, Commencez la révolution sans nous, de Bud Yorkin (1969), dans lequel deux jumeaux très différents essaient d'empêcher le déclenchement de la Révolution française.
Un film à l'humour ravageur et iconoclaste qui ne craint ni les calembours ni les anachronismes !
De son côté, La grande vadrouille de Gérard Oury (1966) fait rire du temps de l'Occupation sans jamais sombrer dans le mauvais goût, et le tandem comique Bourvil/Louis
de Funès en résistants "malgré eux" fait mouche. Ce sommet du comique burlesque sera un des plus gros succès du cinéma français.
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Ainsi, Georges Spicas (Le plat du jour, 1974) met en scène un petit restaurant parisien pendant la frénésie de la pause déjeuner, et nous régale de gags visuels
aussi bien que sonores.
Luc Moullet a réalisé nombre de petits bijoux burlesques, comme Barres (1983), une apologie comique de la fraude et du système D, où il filme toutes les façons imaginables de passer les tourniquets
du métro sans ticket !
Dans Foutaises (1989), Jean-Pierre Jeunet fait l'inventaire de ce qu'il aime, et n'aime pas, dans la vie quotidienne, et signe une fantaisie
burlesque et nostalgique, César du meilleur court métrage de fiction.
Quant au très visuel Japanam (Yann Piquer, 1987), c'est une désopilante série de poses d'un groupe de touristes japonais pour la traditionnelle photo
devant la tour Eiffel.
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Dans les années 1990, l'esprit de Tati souffle toujours sur le cinéma français. Ainsi, Dieu seul me voit (Bruno Podalydès, 1998), où Denis Podalydès interprète un éternel indécis qui, entre deux rencontres inattendues avec des
personnages loufoques, se trouve mêlé à trois histoires d'amour…
On croise aussi beaucoup de personnages farfelus dans Marie-Louise ou la permission (Manuel Flèche, 1995), une comédie à la fois romantique et burlesque, qui multiplie quiproquos et rebondissements avec beaucoup
de fantaisie.
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Courses-poursuites, chutes, bagarres, effondrement des décors, etc. : (re)découvrez le goût de l'absurde et de la démesure
burlesque !
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Après cette Belle Epoque délirante, le parlant ouvre de nouvelles perspectives et le burlesque évolue vers la comédie loufoque. |
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Le burlesque, ou morale de la tarte à la crème, Petr Kral, Stock, 1984
Dictionnaire du cinéma, Jean Tulard, Bouquins / Robert Laffont, rééd. 1997
Dictionnaire du cinéma, Jean-Loup Passek (dir.), Larousse, 1986
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Paris à la Belle Epoque, par Noël Herpe | |||||||
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Le Paris de Charles Chaplin, par Christian Delage | |||||||
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Zazie dans le métro, par Hervé Le Tellier | |||||||
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Luc Moullet | |||||||
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juin 2003
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