Parcours
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par Hervé Le Tellier
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P119 | |||||
Catherine Demongeot est Zazie...
collection Paris Île-de-France
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Zazie, une gamine espiègle, vient à Paris chez son oncle avec une (seule) idée en tête : prendre le métro. Hélas, il est en
grève ! Adaptant avec brio l'univers de Raymond Queneau, Louis Malle réalisait en 1960 un film au comique dévastateur et au
rythme échevelé. L'écrivain oulipien Hervé Le Tellier suit à son tour les pas de la petite Zazie…
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J'ai vieilli, comme dirait Zazie. C'est donc un peu plus tard que j'ai lu le roman de Raymond Queneau. J'y ai découvert "Doukipudonktan", "skeutadittaleur" (un pentasyllabe monophasé, eskuzez du peu) et autres "snob mon cul". Évidemment, j'avais dix-sept ans, vous savez cexé on n'est pas sérieux à cet âge, et bien des choses m'ont échappé. Trois
éléments m'apparaissaient pourtant avec clarté : uno, l'histoire était rigolote, vraiment, et bien sympathiquement narrée,
deuzio, cette gamine était sacrément délurée, terzio, l'orthographe et la syntaxe en prenaient pour leur grade, ce qui me
satisfaisait pleinement (quoique j'eusse pourtant sans m'vanter la maîtrise de l'orthographie en ces temps reculés d'avant
les correcteurs automatiques).
J'ai vieilli, encore (renseignez-vous, c'est un truc qui ne s'arrête jamais). J'ai relu Zazie, riche de nouvelles lectures, Desnos, Sartre. J'ai découvert une deuxième pelure de l'oignon, puisque Queneau affirme avec
justesse que les romans, que ses romans sont des oignons. Puis, plus tard encore, une troisième pelure. Et forcément, d'autres
couches m'échappent encore, m'échapperont toujours. Zazie, comme les Fleurs bleues, est presque inépuisable. Roland Barthes ne s'y trompera pas, et écrira dans un article sur Zazie et la littérature, paru dans la revue Critique : "Les formes de duplicité sont ici innombrables".
Une remarque en passant : Queneau ne s'attendait pas au succès du roman Zazie. Dans son Journal, le 16 septembre 1960, il note : "[il fut] un choc qu'il m'a été difficile de supporter. Je disais en ne disant pas, seulement pour les happy few je disais,
et voilà que la foule s'écrie j'ai compris même si c'est faux c'est impressionnant."
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Zazie dans le métro est fort différent, non seulement de tous ceux qu'a entrepris Louis Malle auparavant, d'Ascenseur pour l'échafaud (1957) aux Amants (1960), mais aussi de ceux qui suivront, de Vie privée avec Bardot au Souffle au cœur. Peut-être Louis Malle - au contraire des auteurs qui écrivent toujours le même livre - ne fait-il d'ailleurs jamais le même
film ?
Comment retranscrire dans l'univers cinématographique la quête du Graal de Zazie, son voyage initiatique ? Et comment transposer,
dans le langage du cinéma, la désintégration de la langue ? Pour y parvenir, Louis Malle donne à Zazie une folie novatrice des images, glissant de l'accéléré, de la pure farce, sans hésitation, avec un sens aigu de l'humour
et du dynamitage. On peut lire a posteriori du godardien dans les ruptures délirantes ou la dimension expérimentale, retrouver
quelque chose (kekchose ?) des films muets des années 1920, et pourtant comme Queneau l'expliquera à la sortie du film : "Le roman et le cinéma, ça fait deux comme chacun sait, et on le sait même si bien que pour beaucoup de représentants de la
première activité nommée, le passage de l'un à l'autre est non seulement impossible mais de plus en plus sacrilège. [...]
Entre les deux, il est difficile de faire quelque chose de personnel ; c'est pourtant ce que me semble avoir réussi Louis
Malle."
La vision que Malle avait de Zazie n'est pas tout à fait celle de Queneau : pour lui, comme il l'expliquait dans un interview au Monde, "Zazie, c'est vraiment l'ange qui vient annoncer la destruction de Babylone. J'aimerais que ce film dit comique [...] transmette
à l'arrivée cette idée qu'il est difficile d'être un homme dans une ville occidentale en 1960. [...] J'ai voulu montrer une
image terrible de la vie dans les villes modernes : peut-être que, voyant le film, les Parisiens, épouvantés, s'enfuiront
à la campagne." Étrangement, ce film m'a fait aimer Paris.
On pourrait s'amuser à imaginer un autre casting, après coup. Un Marielle en lieu et place d'un Noiret-Gabriel absolument
parfait. Une Zazie blonde, quand la brune Catherine Demongeot crève l'écran. Etc. Avec le recul, le jeu est vain : les choix
de Louis Malle s'imposent.
Pour conclure, il faudrait aussi dire un mot de la relation Lolita-Zazie. Le projet de Zazie dans le métro a longuement mûri dans l'esprit de Raymond Queneau, indépendamment du Lolita de Nabokov, Queneau avait lu ce roman en 1954. Il avait été publié par Olympia Press l'année précédente, et c'est Queneau
qui avait convaincu Gaston Gallimard d'en publier la traduction française dans la collection Blanche . Vladimir Nabokov, de son côté, connaissait Queneau. Il avait pour Zazie beaucoup d'admiration, et considérait le roman comme "une sorte de chef-d'œuvre dans son genre fantasque".
Le plus étonnant est qu'après avoir vu le film de Louis Malle, Nabokov regrettera que Catherine Demongeot n'ait pas été choisie
par Kubrick pour sa version filmée de Lolita en 1962, alors que l'âge de la fillette aurait beaucoup mieux convenu que celui de Sue Lyon, une adolescente presque déjà
femme.
Essayez d'y songer en voyant-revoyant Zazie.
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Le Paris de Louis Malle, par Franck Garbarz | |||||||
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Le métro : une figure cinématographique emblématique de Paris, par Roger-Henri Guerrand | |||||||
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Paris vu par le cinéma burlesque | |||||||
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Paris est un roman | |||||||
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Hervé Le Tellier
Ecrivain oulipien, enseignant et collaborateur de l'émission Les papous dans la tête (France Culture), Hervé Le Tellier a notamment publié Sonates de bar (Seghers, 1991, rééd. Le Castor Astral, 2001), Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable (Le Castor Astral, 1997), Joconde jusqu'à cent (Le Castor Astral, 1998) et Cités de mémoire (Berg International, 2003).
mars 2004
mise à jour 27 novembre 2008
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