Parcours
Ce texte consacré à la censure du Chemin de la mauvaise route a été effectué dans le cadre du statut de chercheur associé au Forum des images, qui permet à des personnes effectuant des
recherches universitaires, professionnelles ou personnelles de bénéficier d'un accès privilégié aux films présents dans les
collections du Forum des images.
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Ce film est produit par la Société Franco-Africaine de Cinéma (Sofracima). Cette jeune société est alors dirigée par deux
sœurs : Gisèle Rebillon et Catherine Winter. Ce n’est pas la première fois que Jean Herman réalise un court métrage pour cette
société de production. Il y avait déjà réalisé Actua-Tilt en 1960 et La quille en 1961. En 1966, il tourne Le dimanche de la vie.
Quand il entreprend Bon pour la vie civile, Jean Herman a aussi réalisé ce qui aurait dû être son premier long métrage : Les guerriers (1961). Ce film, resté inachevé, deviendra plus tard un court métrage : Les fusils (1962-1963). Pour l’exposition de Seattle, il tourne en mars 1962 Twist-Parade sur les angoisses et les frénésies du XXe siècle. Le monde vu par la mise en scène de Jean Herman est mécanisé, déshumanisé.
Seules l'apparence, la vitesse et la violence comptent. Finalement, ces films qui utilisent énormément de "stock-shots" synthétisent tous les thèmes de la jeunesse des années 1960 : les stars, le rock, l'ivresse de la vitesse, la mode, la violence…
Par toutes ses réalisations, Jean Herman apparaît à ce moment-là comme un "fervent adepte de la leçon de montage en forme d’allégorie sociale. Impressionniste bruyant de la réalité quotidienne, apologiste
enthousiaste de la méthode "dynam", il joue la carte du formalisme et de l’engagement…" (2)
Le générique du Chemin de la mauvaise route reprend des plans issus de Twist-Parade où l’on voit un groupe de rock de face et derrière lui des images en projection. "Entre danser et être voyou, c’est deux choses différentes." La bande-son est construite à partir de voix (off) appartenant à des personnes interviewées dans des bistrots à l’heure de
l’apéritif sur le thème des jeunes, des "blousons noirs". Ces propos sont illustrés par des images d’adolescents dans la rue.
La diégèse se focalise ensuite sur deux "blousons noirs", Colette (19 ans) et Jean-Claude (18 ans et demi), sous la forme d’une enquête. Chacun se livre devant la caméra. Toutes
ces interviews ont été regroupées sous forme de chapitres thématiques : "le langage manouche", "la semaine de 40 heures", "les bagarres", "la mode", "la guerre d’Algérie", "nous deux", "les copains", "la jalousie"…
On apprend alors que Colette et Jean-Claude aiment aller à la fête foraine, au cinéma, qu’ils vendent leurs vêtements pour
avoir un peu d’argent. Ils avouent avoir la paresse de travailler. Ils parlent aussi de leur enfance, de leurs différents
séjours dans des centres d’éducation surveillée.
(1) Titre rayé et rajouté au stylo bille dans un document de la Commission de contrôle (CNC) du 23 février 1962 : Bon pour la vie civile (2) François Porcile, Défense du court métrage français, coll. 7e art, Cerf, Paris, 1965, 309 p., p. 270
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Aujourd’hui, le film comporte toujours ce chapitre mais très certainement raccourci. Les paroles du "blouson noir" ont été remplacées par un bruit de machines. Le réalisateur semble indiquer au spectateur que cette partie a été censurée,
à la manière de Claude de Givray dans L’amour à la chaîne.
Selon Marcel Martin, dans la séquence "Tuer" "était reconstitué le meurtre gratuit d’un passant dans la rue par des blousons noirs" (7). Par contre, ces plans ne sont pas visibles aujourd’hui puisque les coupures demandées auraient été faites directement
sur le négatif original.
Le 2 janvier 1963, Alain Peyrefitte, ministre de l’Information, signale à la Sofracima que le visa d’exploitation pour la
France métropolitaine est accordé à conditions de respecter différentes exigences. Le film reste donc interdit à l’exportation.
Cette mesure s’adoucit et le film reçoit l’autorisation d’être exporté dans certains pays : les Etats-Unis, la Belgique, l’Allemagne,
la Grande-Bretagne, la Suède et l’Autriche (à partir du 23 décembre 1963) avec l’obligation de précéder le film de l’introduction
d’une durée de 250 m.
Cette introduction est en fait un débat de "trois spécialistes (un juge, un éducateur et un médecin) de l’enfance inadaptée [qui] discutent le film que vous allez voir". Selon l’éducateur, "le film joué par des acteurs professionnels aurait été moins dangereux". Pour eux, le film pourrait être source de traumatisme, d’angoisse, d’inquiétude chez les parents qui le regardent. Un intervenant
a peur que le film donne envie aux autres adolescents d’en faire autant. Il craint un processus d’identification. De plus,
le film met trop en valeur l’échec des méthodes de rééducation. Le film choque par son côté trop réaliste, trop "cinéma-vérité".
(6) Cinéma 63, n° 72 , p. 48
(7) Cinéma 63, n° 80, p. 109
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Combat publie plusieurs articles pour la sortie du film. Josane Duranteau interviewe et présente Jean Herman, le 9 septembre 1963,
suite à "la mort de Jean-Claude (Grandvallet) au volant d’une voiture volée [qui] donne lieu à travers toute la presse à des commentaires
dans lesquels il faut peut-être mettre de l’ordre." A nouveau, Josane Duranteau donne la parole au réalisateur. Celui-ci doit répondre aux articles qui l’accusent d’avoir mêlé
dans la tête de Jean-Claude le réel et l’imaginaire. La journaliste lui demande : "Quel effet le film a-t-il pu avoir sur lui ?" Jean Herman répond : "Il n’a jamais vu le film. Il n’a jamais vu même les premiers rushes. Nous pensions que nous avions tout le temps…" (8)
Dans la revue Cinéma, Michel Flacon rappelle le passé du film quand il écrit un article sur les films censurés : "Bon pour la vie civile, de Jean Herman, d’abord interdit pour 'amoralité, incitation à tuer, agressivité extrême', a été finalement autorisé dans une version amputée d’une douzaine de minutes et avec l’obligation d’un nouveau titre : LE CHEMIN DE LA MAUVAISE ROUTE (sic)…" (9)
Tous s’accordent à dire que le film arrive trop tard et que déjà beaucoup de longs métrages utilisant la méthode du "cinéma-vérité" sont sortis : "Il aurait eu il y a un an et demi un caractère de nouveauté qui étonnera moins maintenant." (10) Dans les salles de cinéma, on a vu des documentaires dits de "cinéma-vérité" avec Chronique d’un été (Jean Rouch et Edgar Morin), Le joli mai (Chris Marker)… A travers ces films, on peut sentir un intérêt pour cette société qui change.
En 1973, la Sofracima par l’intermédiaire de Gisèle Rebillon a de nouveau demandé à la Commission de contrôle de revoir son
avis. Cette dernière refuse car "ce film montre une certaine catégorie de la jeunesse française sous un jour très inquiétant. Par ailleurs, bien que réalisé
il y a maintenant plus de dix ans, ce film met en cause indirectement toutes les institutions destinées à prendre en charge
la jeunesse délinquante, notamment les services d’éducation surveillée." (11)
Sans la Commission de contrôle, le film serait aujourd’hui différent. Le prologue avec les trois spécialistes n’existerait
pas et le chapitre "Tuer" serait plus complet, avec un dialogue audible. Néanmoins, les demandes de la censure mentionnées nous renseigne aussi sur
la société française de l’après-guerre.
(8) Combat, 10 décembre 1963, par Josane Duranteau
(9) Cinéma 63, n° 74, par Michel Flacon, p. 22
(10) Combat, 7 septembre 1963, par Josane Duranteau
(11) Ibid |
Cette filmographie reprend l'ensemble des films cités dans ce parcours thématique évoquant la capitale. |
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"Actua-Tilt" , in Avant-scène cinéma, n°8
"Rossellini tourne India 57", Jean Herman, in Cahiers du cinéma, n° 73, juillet 1957, pp.1 à 9
"Renaissance indienne", Jean Herman, n°79, janvier 1958, pp.45 à 47
"Tours 1960", Louis Marcorelles, in Cahiers du cinéma, n°115, janvier 1961, pp.34 à 39
"Le chemin de la mauvaise route" , in Cahiers du cinéma, n°148, octobre 1963, pp.70
" Festival de Tours" , in Cinéma 61, n°53, pp.37
"La censure et le soldat" , in Cinéma 63, n°74, pp.16, 22-23, 63-64
"Bonne chance à Jean Herman" , in Cinéma 63, n°77, pp.16
Les courts métrages de la Nouvelle Vague (1956-1965), Stéphane Pirot, Université Paris III, 2006
Ce mémoire est disponible dans la salle des collections du Forum des images, sur présentation d'une pièce d'identité. |
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Le mythe de la Nouvelle Vague, par Ann Carolin Renninger | |||||||
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Le Paris de la Nouvelle Vague, par Jean Douchet | |||||||
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Chronique d'un été, par Valérie Mréjen | |||||||
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Le Paris de Chris Marker, par Bamchade Pourvali | |||||||
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Stéphane Pirot
Stéphane Pirot (stephanepirot@yahoo.fr) a été chercheur associé au Forum des images. Il remercie Sylvie Hubac, présidente
de la Commission de classification des films du CNC, pour l’avoir autorisé à consulter le dossier de la Commission de contrôle
sur le film de Jean Herman.
10 juillet 2008
mise à jour 2 décembre 2008
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