LE PORTAIL DES FILMS
SUR PARIS ET LA REGION ILE-DE-FRANCE

 

Île de France

Mairie de Paris

 

Parcours
Le mythe de la Nouvelle Vague
Une analyse du discours de la critique cinématographique française des années 1950
par Ann Carolin Renninger
P177
Jean Seberg dans A bout de souffle
collection Paris Île-de-France
Cette synthèse consacrée au mythe de la Nouvelle Vague a été effectuée dans le cadre du statut de chercheur associé au Forum des images, qui permet à des personnes effectuant des recherches universitaires, professionnelles ou personnelles de bénéficier d'un accès privilégié aux films présents dans les collections du Forum des images.


Synthèse
"Der Knick war nach dem Zweiten Weltkrieg. Neue Medien kündigten die Veränderungen der massenhaft produzierten Bilder an. Mit der Nouvelle Vague, die nie nur der optimistische, jugendliche Aufbruch war, als der sie meistens hingestellt wird, begann für den Film die Zeit der Reflexion." (1)

Ce travail n’est pas consacré à la Nouvelle Vague, il n’est pas consacré à Truffaut, Godard ou Chabrol, et il est encore moins question d’analyses de films. Ce travail s’intéresse à l’écriture sur le cinéma, et il importe ici assez peu de savoir si cette écriture a lieu en France ou autre part dans le monde.

Au-delà de l’analyse du discours de la critique française de cinéma, il s’agit de montrer le changement de l’écriture à propos du cinéma, qui a influencé sa perception et son évaluation. C’est précisément de cette époque que l’on date la Nouvelle Vague, largement reconnue comme la rupture décisive dans l’histoire du cinéma : la naissance du film moderne.

Mais la question se pose : la Nouvelle Vague a-t-elle vraiment été un mouvement cinématographique révolutionnaire, si l’on considére que les qualités et les innovations qu’on lui a accollé n’étaient pas si nouvelles que cela ? Ou y a-t-il alors d’autres raisons qui font que l’on accorde une telle importance révolutionnaire à la Nouvelle Vague ?

Ce travail pose la question de la construction des mythes, de sa légitimation du système cinématographie par sa propre histoire et, par une perspective historico-culturelle, questionne la signification de leur postérité contenue de son sens.

(1) Frieda Grafe, Nur das Kino. 40 Jahre mit der Nouvelle Vague, Berlin, 2003, p.9


La construction d'un mythe
La Nouvelle Vague est communément considérée comme une époque décisive dans l’histoire du cinéma. Aux noms de ses représentants les plus célèbres – François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jacques Rivette et Eric Rohmer – sont associés des récits sur une jeunesse qui éclot, et qui se manifeste dans des films comme À bout de souffle, Les cousins ou Les 400 coups. Ces jeunes réalisateurs étaient considérés comme des révolutionnaires. Une histoire mythique de la Nouvelle Vague est contée, avec des images qui reviennent sans cesse, des anecdotes et des mots-clés, comme jeunesse, jeunes turcs, hitchcocko-hawksiens ou politique des auteurs.

Le mythe qui entoure la Nouvelle Vague raconte qu’en 1959 furent réalisés en France des films révolutionnaires qui ont brisé toutes les conventions cinématographiques existantes. On a tendance à rattacher avant tout le sens révolutionnaire de la Nouvelle Vague à l’invention d’une nouvelle esthétique filmique. D'un côté une rupture avec les règles techniques habituelles : on ne tourne plus en studio mais dans la rue, la lumière naturelle fait place aux coûteux projecteurs, de légères caméras à main remplacent des systèmes lourds et complexes. De l'autre un abandon des modes narratifs classiques. On met en scène des histoires simples et personnelles, et non plus de la littérature exigeante, tandis que de jeunes comédiens inconnus remplacent les vedettes du star système. L’événement le plus connu est le prix accordé à François Truffaut à Cannes en 1959, pour Les 400 coups, alors que le même Truffaut, journaliste cette fois, avait été exclu l’année précédente du festival en raison de ses attaques polémiques. Les textes associés au mouvement et qui, avec le temps, ont acquis le statut de manifestes ou de pamphlets sont Une certaine tendance du cinéma français (1954) et Le cinéma français crève sous les fausses légendes (1957), tous deux signés François Truffaut (2). Ils ont été publiés par le magazine culturel Arts et par la revue Les cahiers du cinéma. Les cahiers du cinéma ont eu un rôle déterminant, car beaucoup de critiques qui y écrivaient alors sont ensuite devenus les réalisateurs de la Nouvelle Vague.

Ce mythe est continuellement perpétué dans nombre de publications consacrées à la Nouvelle Vague. Pourtant, dès que l’on commence à se concentrer sur les événements de Cannes 1959 et sur le début de l’histoire de la Nouvelle Vague, on achoppe inévitablement sur des contradictions. Elles apparaissent déjà autour du seul terme de Nouvelle Vague, qui avait été utilisé comme description de la jeunesse par la journaliste Françoise Giroud en 1957 dans le magazine L’express, dans le cadre d’une étude sociologique sur la jeune génération des années cinquante, et avait été plus tard associée, par la presse, au jeune cinéma (3). Les réalisateurs établis de l’époque récusèrent alors le caractère révolutionnaire de ces premiers films encensés par la presse.

Comment un groupe, dont la simple existence porte à caution, a-t-il pu se voir accorder un tel sens révolutionnaire? À d’autres mouvements, doués d’un même caractère révolutionnaire, on a accordé une importance bien moindre, que ce soient les films surréalistes des années vingt en France, le néoréalisme italien des années quarante ou la Nouvelle Vague tchèque dans les années soixante. Depuis qu’il y a des films, il y a aussi des films "autres", qui proposent une autre manière de faire du cinéma, ou qui se détournent du cinéma commercial et populaire. Pour prendre un exemple, cela correspond à ce qui a été un des éléments les plus commentés des films de Nouvelle Vague : les tournages dans la rue plutôt qu’en studio. C’était, plus de dix ans auparavant, un des systèmes de représentation filmique les plus importants du néoréalisme italien. Pourquoi écrit-on donc de la Nouvelle Vague qu’elle fonde le cinéma moderne, voire qu’elle l’a inventé ?

Alors que la Nouvelle Vague était un thème jusqu’ici traité avant tout par des spécialistes de l'analyse et de l'histoire cinématographiques, nous proposons ici, au rebours des approches historiques ou scientifiques du cinéma, de le considérer comme un objet d’histoire culturelle et de l’étudier, de l’extérieur, comme un phénomène historique à part entière. Cette recherche est conduite dans une perspective d’analyse de discours, qui offre l’occasion de remettre en question des mythes préexistants et de se distancer des légendes sur la Nouvelle Vague, afin de se concentrer sur l’enquête du discours d’une époque pendant laquelle le cinéma est devenu quelque chose que l’on décrit aujourd’hui comme moderne. On questionne aussi comment on en est arrivé à ce que la Nouvelle Vague bénéficie d’une telle place dans l’histoire du cinéma et soit située, toujours, comme le point de départ du cinéma moderne alors, qu’en de nombreux points, elle ne se différencie pas d’autres courants de l’histoire cinématographique.

Dans l’analyse des constructions, il apparait que tout ce que la Nouvelle Vague a déclaré comme rupture était en fait construit. Il est montré, de la même manière, que les continuités déclarées ne tiennent pas, parce qu’elles ont été interprétées a posteriori dans l’histoire. À des textes de Truffaut et Godard tirés de leur contexte, ont été ajoutés de nouveaux sens, au regard de ce qui s’était déroulé après. C’est ainsi que ne tient plus l’idée d'un itinéraire soit disant pensé et prévu jusqu'á son but, au travers duquel les jeunes critiques dessineraient déjà leur futur état de réalisateurs pleins de succès.

C’est à ce point que notre recherche inverse la perspective. Ce qui s’est passé dans les écrits antérieurs à la Nouvelle Vague est vu, indépendemment de ses mythes historiques, comme une évolution continue d’un discours sur le cinéma. Les changements de ce discours émergeaient déjà chez les critiques français au cours des années cinquante. Le cinéma n’était plus seulement un film avec le déroulement d’une intrigue et des comédiens, et dont on devait juger s’il était bon ou mauvais. Le film était vu comme part de l’oeuvre du réalisateur. On accède au film par le réalisateur, et ses intentions sont toujours prises en compte. C’est ainsi que des films perçus à une autre époque comme superficiels et vides de sens se sont vus accorder un nouveau contexte de signification. Il n’était pas essentiel, pour ce travail, de savoir si l’écriture sur les films avait changé de substance, ou s’il on se mettait à parler plus de l’esthétique ou des éléments sociologiques du cinéma. Il était par contre décisif de savoir de quelle nouvelle manière, et sous quelle forme, le cinéma était critiqué et interprété.

Les nouvelles techniques établies de la critique cinématographique représentent un des aspects du changement, lui-même partie du processus qui a fait que le cinéma est devenu un lieu reconnu de la réflexion intellectuelle dans la cité. Par la reprise dans la presse de matrices d’observation spécifiques au cinéma, une nouvelle manière de percevoir les films a été rendue accessible à l’opinion publique. Les transformations de la critique et l’établissement croissant de revues spécialisées indiquent une montée en puissance de la communication, autrement dit une institutionnalisation de la communication qui fait naître discours continu et intégré au système. À cela il faut ajouter les institutions cinématographiques, qui se sont établies à partir des années quarante, comme par exemple la grande école cinématographique IDHEC ou le CNC, Centre national de la cinématographie. On assiste, dans ce sens, à une professionnalisation, une institutionnalisation et à une singularisation du domaine cinématographique. Ce système sociétal s’est développé et est devenu mûr – le discours a été rendu possible, parce que le système s’était établi.

Ce travail a poursuivi l’idée de repenser critiquement la manière de voir un phénomène comme celui de la Nouvelle Vague. Les étiquettages et les nominations de phénomènes historiques sont créés dans et par l’histoire. Il s’agit ici d’inverser la perspective et de se défaire des mécanismes habituels de l’enquête pour rechercher en suivant les causes et interpréter les sources en se basant sur leur intention originelle. Le résultat montre qu'il existe d'autres chemins pour se consacrer au cinéma et à son histoire.

(2) François Truffaut, Une certaine tendance du cinéma français, in Cahiers du cinéma n°31, janvier 1954, p.15-29 et François Truffaut, Le cinéma français crève sous les fausses légendes, in Arts n°619, 15 mai 1957, p.1 et p.3-4.

(3) Françoise Giroud, La lettre de L’express, in L’express, n°322, 23 août 1957, p.2 ; Françoise Giroud, La Nouvelle Vague arrive !, dans L’express, n°328, 3 octobre 1957, p.1 et p.18-19 et Françoise Giroud, La Nouvelle Vague. Portrait de la jeunesse, Paris, 1958


Bibliographie
Mythos Nouvelle Vague, Eine Analyse des Diskurses der französischen Filmkritik der fünfziger Jahre, Ann Carolin Renninger, Institut für Kulturwissenschaften der Universität Leipzig, 2006
Ce mémoire est disponible dans la salle des collections du Forum des images, sur présentation d'une pièce d'identité.
En écho
Sur le site du Forum des images
Le Paris de la Nouvelle Vague, par Jean Douchet

 

La censure du "Chemin de la mauvaise route", par Stéphane Pirot

 

Ann Carolin Renninger
Ann Carolin Renninger (carolin.renninger@web.de) a été chercheur associé au Forum des images.
10 juillet 2008

Partenaires