Parcours
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par Claude-Jean Philippe
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P123 | |||||||
Gabin et Arletty dans Le jour se lève
collection Paris Île-de-France
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Eric Rohmer n'a jamais placé les films de Marcel Carné au premier rang de ses admirations. Son avis n'en est que plus précieux
lorsqu'il reconnaît que le réalisateur du Jour se lève et des Enfants du paradis fait partie de ceux qui ont le mieux filmé Paris.
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"Tenez, regardez, dit-elle à Baptiste au soir de leur première rencontre, les petites lueurs, les petites lumières de Ménilmontant.
Les gens s'endorment et s'éveillent. Ils ont chacun cette lueur qui s'allume et qui s'éteint. C'est peu de choses tout ça.
Quand je pense que je ne peux même pas reconnaître la chambre où j'habitais avec ma mère quand j'étais petite…"
Ces mots sont de Jacques Prévert, bien sûr, mais on conviendra facilement que l'entente entre l'auteur et le metteur en scène n'a guère eu de mal à se faire
jour à travers une inspiration commune. Le Paris des surréalistes, celui du café Cyrano, de la tour Saint-Jacques et du canal de l'Ourcq, procède du même sentiment et accède à la même sensation
de poésie vécue, intériorisée, que le Paris populaire du canal Saint-Martin et du métro Barbès-Rochechouart.Il semble donc
assez vain de se livrer à une querelle des attributions. Lisons le texte de Prévert correspondant à la séquence du canal de
l'Ourq dans Jenny (1936), premier film de leur collaboration :
Le port de Crimée… Les docks… Des enfants jouent… Des hommes qui déchargent les péniches…
Du quai de la Marne, en direction du quai de la Gironde… L'eau… Les péniches…
Puis le quai de la Loire en arrière-plan…
La voiture de Lucien longe les quais… le quai de la Loire… près du pont de chemin de fer…
Le coude du quai… Au fond un petit bâtiment sur lequel on lit "Secours aux noyés"… Un drapeau le surmonte… On sent que l'endroit n'a pas été choisi au hasard, qu'il n'est pas un décor comme un autre et que Prévert entretient avec
ces lieux une familiarité de longue date. Marcel Carné filmant la séquence épouse à n'en pas douter la qualité de ce regard.
Les images du canal, du pont, des poutrelles métalliques, de l'étendue d'eau grise, des rudes bâtiments qui se font face,
revêtent un accent d'âpreté, adouci par un certain ton de sérénité mélancolique, qui appartient au cinéaste autant qu'au poète.
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En le filmant, Carné s'ingénie à faire ressortir ce caractère d' "apparition", comme en témoigne la magnifique séquence d'ouverture des portes de la nuit (1946). Par un matin d'hiver, une rame de métro aérien circule au-dessus des quartiers nord de Paris. Passager parmi d'autres,
Diego (Yves Montand) ne remarque pas un autre passager au visage osseux, mal rasé, qui le fixe sans désemparer. Il suffit d'un regard échangé
entre les deux hommes pour nous faire entrer dans une dimension fantastique sans que la réalité du moment, sa banalité un
peu morne, soit le moins du monde altérée.
Nous reverrons par la suite et nous entendrons parler cet individu, qui suscite le dédain plus que la curiosité et le malaise
bien plus que l'effroi. Personne ne veut l'écouter lorsqu'il prétend intervenir - sans grande conviction, à vrai dire - dans
le cours de l'action. "Tous les mêmes, dit-il, on les prévient, mais ils n'en font qu'à leur tête ; et, si on ne les prévient pas, quand les choses
arrivent, ils accusent le sort. On croirait que ça les amuse d'avoir des ennuis, des malheurs, des complications…"
Je ne pense pas qu'il faille chercher ailleurs le secret d'un saisissement qui n'a rien perdu de sa force soixante décennies
plus tard lorsque nous revoyons ces images. Je ne sais si Marcel Carné en était conscient, mais ce petit homme à l'œil intraitable
ne se connaissait probablement qu'un seul rival. Il se devait de le haïr comme Baptiste haïssait le marchand d'habits, mais
la mégalomanie dont on l'a si souvent accusé ne tenait-elle pas à une certaine identification, en matière de caprices et de
passion de l'arbitraire, à ce fameux destin personnifié ?
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On pourrait presque raccorder certains plans à des années de distance. Au dénouement de Jenny, on voit Françoise Rosay marchant dans une rue fermée d'un côté par une haute grille à travers laquelle on découvre un vaste
réseau de voies ferrées. Jacques Prévert avait indiqué "une rue quelconque" dans son scénario. Mais le jeune Carné avait senti que les panaches de fumée et les sifflements des locomotives se devaient
d'accompagner la désespérance intime de l'héroïne. Nous retrouvons le Jean-Pierre Aumont d'Hôtel du Nord dans un décor semblable. Décidé à mourir, il enjambe une balustrade qui domine les voies ferrées. Il disparaît d'abord dans
un nuage de fumée, mais nous découvrons que le courage lui a manqué puisqu'il réapparaît vivant agrippé aux montants de fer.
Serge Reggiani dans Les portes de la nuit n'aura pas cette chance. Il marche entre deux rails et voit fondre sur lui le train qui marque le terme de sa destination.
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On comprend que Marcel Carné se soit passionné, sans une minute d'hésitation, pour le synopsis en trois feuillets que lui
proposa un soir de 1938 Jacques Viot, son voisin de palier de la rue Caulaincourt. "Je venais d'avoir un coup de foudre, écrira-t-il dans La vie à belles dents, son livre de souvenirs. L'intrigue proprement dite était à peu près inexistante mais, pour la première fois dans l'histoire
du cinéma, du moins à ma connaissance, elle commençait par la fin et se déroulait à la faveur de "retours en arrière". C'était
une sorte de confession du héros sur son passé et sur les raisons qui l'avaient poussé à devenir un meurtrier."
N'en doutons plus : si le destin savait voir, c'est à la façon de Marcel Carné qu'il filmerait Paris. |
Cette filmographie reprend les films cités dans ce parcours thématique évoquant la capitale, ainsi que d'autres films complémentaires
sur le même sujet.
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Les visiteurs du soir
de Marcel Carné
1942, 2h03min
"Les enfants du paradis" de Marcel Carné, Analysé par Michèle Lagny, série Cours de cinéma à l'INHA
réalisation Forum des images
2007, 52min
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Le Paris d'Alexandre Trauner, par Claude Naumann | |||||||
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Le Paris d'Arletty, par Denis Demonpion | |||||||
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Le Paris de Jean Gabin, par Claude Gauteur | |||||||
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Le jour se lève : une partition de Maurice Jaubert, par François Porcile | |||||||
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Claude-Jean Philippe
Historien du cinéma, animateur du ciné-club d'Antenne 2 (1971-1996), réalisateur de documentaires, Claude-Jean Philippe est
aussi l'auteur de Roman du cinéma (Fayard, 1998) et de Jean Renoir : une vie en oeuvres (Grasset et Fasquelle, 2005).
octobre 2005
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