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Parcours
Années 1870 - La Commune de Paris
Les journées de 1871 à l'écran
par François Porcile
P79
Les aubes de Paris
collection Paris Île-de-France
Au printemps 1871, à Paris, les communards refusent de capituler contre les Prussiens et se révoltent contre le gouvernement de Thiers qui siège à Versailles. Cet affrontement populaire fait des milliers de victimes et marque pour longtemps l'histoire de la capitale. L'idéologie révolutionnaire de ces "journées sanglantes" a inspiré les cinéastes français et étrangers.


L'imagerie de la Commune
Peu avant sa mort, l'auteur de L'internationale, Eugène Pottier, écrivait dans une de ses dernières chansons, en 1886 :

Tout ça n'empêche pas, Nicolas,
que la Commune n'est pas morte...

Né à peine dix ans plus tard, le cinématographe mettra pourtant plus de trois décennies pour la faire revivre, et loin de Paris. Si l'on excepte cette reconstitution, filmée à des fins militantes par l'Espagnol Armand Guerra en 1913 (La Commune), qui se terminait sur des images de survivants de la Commune, il faudra attendre la fin des années vingt, à la lisière du muet et du parlant, pour voir l'insurrection parisienne du printemps 1871 mise en scène par des cinéastes soviétiques : Mardjanov avec La pipe du communard (1929), Kosintsev et Trauberg avec La nouvelle Babylone (1929 - première partition pour le cinéma d'un Chostakovitch de vingt-trois ans), et Rochal avec Les aubes de Paris (1936). En France, le sujet semble tabou. A telle enseigne que le premier projet de long métrage consacré à la Commune, en 1946, ne verra pas le jour. Dans le sillage de la Libération de Paris, le grand cinéaste du Six juin à l'aube, Jean Grémillon, voulait célébrer cette "insurrection patriotique", selon ses propres termes, dans une confrontation tentante entre Versailles et Vichy, Thiers et Pétain, FFI et Garde Nationale. L'imagerie future de la Commune sera friande de tels rapprochements, de même que l'iconographie antérieure y avait eu largement recours : la Louise Michel sur les barricades de Théophile Steinlen s'inspire directement de La Liberté guidant le peuple, peinte par Eugène Delacroix au lendemain de la révolution de 1830.

L'allégorie apparaît ainsi comme l'une des constantes de la représentation de la Commune, largement utilisée au cinéma. Elle avait à l'époque d'autant plus d'importance que la gravure et la lithographie supplantaient la photographie comme support de diffusion, même si les photographes au service des fédérés, comme Braquehais, privilégiaient l'image symbolique : groupes de communards devant la colonne Vendôme abattue, ou juchés sur les barricades... Et par un détournement pervers, ces mêmes images serviront aux mouchards versaillais pour identifier nombre de "meneurs" qui seront pour la plupart fusillés. Pour la première fois dans son histoire, la photographie devenait instrument de dénonciation, pièce à conviction.

De leur côté les fusilleurs versaillais prirent - apparemment - plaisir à photographier abondamment les cadavres de leurs victimes... Images qui seront "récupérées" au bénéfice de diverses propagandes réactionnaires, la plus ignoble étant la publication dans un journal franquiste, pendant la guerre civile espagnole, d'une photographie de cercueils ouverts de communards fusillés, légendée comme le résultat d'une exécution sommaire de prisonniers phalangistes par les républicains. Par un salutaire retour de balancier, ces images de communards massacrés permettront à Jean Baronnet de donner la mesure de la répression versaillaise en ouverture de son film Une journée au Luxembourg (1993).

Un autre type de détournement d'image fut inauguré après la chute de la Commune : la reconstitution mensongère et le photo-montage. Pour les besoins d'un recueil intitulé Les crimes de la Commune, très prisé dans les salons bourgeois, le dénommé Appert engagea des figurants pour incarner les "fanatiques avinés" qui allaient procéder aux "sauvages exécutions" des généraux Lecomte et Thomas et de l'archevêque de Paris Mgr Darboy, sous le regard complice de dirigeants de la Commune insérés dans l'image par truquage photographique.

Paradoxalement, c'est à partir d'un semblable matériau - dessin, photo, gravure, reconstitution - que vont s'édifier les représentations cinématographiques de la Commune, à ceci près qu'aucun film ne choisira jamais le camp des Versaillais. A cela, une raison évidente : faire un film sur la Commune est un choix militant, où il est d'abord question d'hommage et de célébration.


De l'Hôtel de Ville au Père-Lachaise : une géographie allégorique
La nouvelle Babylone
Vingt ans après les trois films soviétiques hautement allégoriques, le premier film français, Commune de Paris (1951), oeuvre d'un cinéaste de vingt-six ans, Robert Menegoz, comporte une séquence d' "actualités" : le cortège des communistes pour le 80e anniversaire de la Commune au cimetière du Père-Lachaise, devant le mur des Fédérés, théâtre des derniers combats contre les soldats de Thiers. Un lieu symbolique déjà reconstitué dans La nouvelle Babylone, et qui sera fortement exploité au moment de la célébration du centenaire de la Commune en 1971, avec les images de la cérémonie organisée par le Parti communiste français figurant aussi bien dans des films de la télévision belge (Un solo funèbre, la Commune de Paris, de Jacques Cogniaux) que soviétique (La voile écarlate de Paris de Marlene Khoutsiev, chant de louanges à la gloire du PCF)... On verra un autre dépôt de gerbe au mur des Fédérés, "gauchiste" celui-là, dans Mourir à trente ans de Romain Goupil - une manière de réponse au film soviétique qui passe pudiquement sous silence les événements de mai 1968 à Paris.

Le mur des Fédérés est le repère privilégié de la géographie cinématographique de la Commune, qu'on retrouve dans les films commémoratifs du centenaire (La Commune de 1871 de Cécile Clairval et Olivier Ricard, télévision française, Le temps des cerises, la Commune et les livres de Robert Lombaerts, télévision belge) comme dans l'évocation, légèrement postérieure, de Jaroslaw Dabrowski (1975), commandant en chef des Armées de la Commune, dans un film polonais de Bohdan Poreba, où les obsèques de l'officier révolutionnaire tué sur la barricade de la rue Myrha (18e) se déroulent au son de L'internationale, dont la musique ne sera composée qu'en 1888... L'anachronisme est ici au service de la symbolique.

Dans son immense fresque de six heures La Commune (Paris 1871) réalisée pour Arte en 1999, Peter Watkins fera de l'anachronisme volontaire un vecteur signifiant en introduisant l'interview et le commentaire télévisés comme jalons de la chronologie de la Commune : le journal télévisé "national" de Versailles s'oppose aux reportages bricolés des journalistes de la télévision "communale", laquelle, en bout de course et faute de moyens, se trouvera réduite à l'état de radio par abandon de l'image. Un principe propice à de passionnants sauts dialectiques du passé au présent et de la réalité à la fiction. Cette distanciation va de pair avec un parti-pris filmique en longs plans séquences où la crédibilité repose sur la parole, les visages et les costumes, le décor restant allusif et ne prétendant surtout pas à une quelconque "reconstitution" (tout a été tourné en banlieue parisienne, à Montreuil, dans les locaux de la compagnie théâtrale d'Armand Gatti, La parole errante).

Un brechtisme déjà illustré, de manière plus radicale encore, dans Mémoire Commune (1978) de Patrick Poidevin, où les décors parisiens sont symbolisés jusqu'à la limite de l'abstraction (un cylindre de bois matérialise par exemple la colonne Vendôme) tout autant que l'action (un drap teint en rouge résume la répression versaillaise), sinon dans une séquence "réaliste" inspirée de Brecht précisément,Le canon de Madame Cabet, où dans une vieille rue étroite et pavée représentant la rue Pigalle, les femmes du quartier empêchent la reprise de "leur" canon par les soldats versaillais.

La supposée rénovation de Paris des années soixante-dix, assortie d'une élimination massive d'immeubles "vétustes" des quartiers populaires, offrit paradoxalement une opportunité de reconstitution à peu de frais des barricades du mois de mai 1871. Joël Farges en profita pour la mise en scène de sa Semaine sanglante (1976), où façades ruinées et murs en démolition complètent les barricades et hôpitaux de fortune éclaboussés par les obus des artilleurs versaillais, lesquels sont félicités depuis son bureau par Adolphe Thiers, à l'abri sous les moulures du château de Versailles, et prenant en toute bonne conscience un bain de pieds. Mais Farges ne dédaigne pas pour autant l'imagerie symbolique, et plante des drapeaux rouges autour du génie de la Bastille, comme il s'attarde sur la façade de l'Hôtel de Ville, bientôt incendié.

La géographie allégorique de la Commune telle que reflétée par le cinéma se trouve ainsi balisée, rive droite, entre deux colonnes, Juillet et Vendôme, à équidistance de l'Hôtel de Ville avec au nord-est la couronne des barricades de Montmartre, Belleville et Ménilmontant qui s'achève plus à l'est parmi les tombes du Père-Lachaise. Comme s'il ne s'était rien passé rive gauche.


Les entailles de l'Histoire
La voile écarlate de Paris
Ce n'est pas le moindre mérite du film de Jean Baronnet Une journée au Luxembourg de montrer que la répression fut aussi sanglante de l'autre côté de la Seine, notamment dans "le plus triste des grands jardins de Paris", comme l'écrivait Jules Vallès. Par un bel après-midi du printemps 1993, autour du bassin, des enfants jouent, font naviguer des voiliers, devant des adultes prenant le soleil, lisant ou somnolant sur leurs chaises. Mais derrière eux on découvre un mur criblé d'impacts de balles. Ici, en mai 1871, nombre de communards furent fusillés. Cette ouverture trompeuse, qui n'est pas sans rappeler celle de Nuit et brouillardd'Alain Resnais ( "Même un paysage tranquille..." ), permet au réalisateur de relater, dans les décors réels d'une annexe du palais du Luxembourg, l'aventure du médecin Maxime Vuillaume, rédacteur au Père Duchène arrêté le 21 mai, qui fut sauvé du peloton d'exécution grâce à l'intervention d'un étudiant en médecine, Laffont, enrôlé dans l'armée versaillaise.

Décor anodin en apparence, qui recèle l'empreinte d'une mémoire tragique : c'est aussi sur ce principe qu'est bâti le film soviétique La voile écarlate de Paris (1971), où le récitant constate que "les vieux pavés gardent les traces de l'Histoire" que la plupart des passants qui les arpentent ignorent. Combien de touristes en effet, qui gravissent les degrés de la butte Montmartre (étymologiquement "colline des martyrs"), savent que la basilique du Sacré-Coeur fut érigée "en expiation des crimes de la Commune" ? Et qu'à la place du Moulin-Rouge se déroulèrent de sanglants combats ? "Si soudain les pierres se mettaient à parler" ?, s'interroge le récitant sur des images de badauds déambulant place du Tertre, répondant en creux à Arthur Rimbaud : "Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, Paris ! ..."

Sur cette sédimentation du temps les entailles de l'Histoire se brouillent, se répondent et se confondent, et la réalisatrice Marlene Khoutsiev fait ricocher les impacts des balles versaillaises avec ceux de la Libération de Paris, rapproche les fusillés de mai 1871 et d'août 1944, établit un parallèle entre un défilé de troupes hitlériennes sur les Champs Elysées et les armées prussiennes assiégeant Paris, décrit en couleurs les rues commerçantes qui furent le théâtre des derniers combats, rue Lepic et rue de la Fontaine-au-Roi, dont les défenseurs de la barricade furent ravitaillés le dernier jour par l'ambulancière Louise, à qui l'élu de la Commune Jean-Baptiste Clément dédia sa chanson Le temps des cerises, sur laquelle précisément se clôt le film, en images du Montmartre de 1971.

Vingt ans auparavant, dans le premier film français consacré à la Commune, Robert Menegoz faisait parler différemment les vieilles pierres parisiennes. Il dramatisait l'iconographie d'époque, mettant à contribution, pêle-mêle, gravures et photographies, pour raconter l'épopée des deux mois que dura la Commune de Paris. Par truquage, les obus pleuvaient sur les façades et par montage rapide revivaient les visages des défenseurs des barricades, au rythme des chants composés par Joseph Kosma sur des paroles de Henri Bassis, A l'assaut du ciel.

C'était aussi le titre d'un autre court métrage, réalisé en 1962 par Jan Peré à partir de gravures, qui montrait l'abolition de la peine de mort par la crémation de la guillotine au pied de la statue de Voltaire, avant de se terminer sur cette citation de Victor Hugo : "Paris nous demande la fermeture des plaies." Menegoz, lui, achevait son film sur une note plus prospective : "Paris livre bataille au nom de l'avenir."

Paris en effet gardera plus volontiers le souvenir de ses défenseurs communards que des assaillants : Louise Michel a sa station de métro, Eugène Pottier sa cité, Jean-Baptiste Clément sa place, Eugène Varlin sa rue... Comme ses acolytes, le général fusilleur Galliffet passera à la trappe de l'Histoire.


Filmographie sélective
de Constantin Mardjanov
1929, 47min
de Gregori Kozintsev et Leonid Trauberg
1929, 1h13min
de Grigorii Rochal
1936, 1h42min
de Jean Baronnet
avec François Bourcier
1993, 50min
de Robert Ménégoz
1951, 25min
de Jacques Cogniaux
1971, 1h41min
de Marlen Khoutsiev
1971, 1h19min
de Romain Goupil
1982, 1h37min
de Olivier Ricard
1971, 1h16min
de Robert Lombaerts
1971, 45min
de Bohdan Poreba
1975, 2h12min
de Peter Watkins
1999, env. 5h45min
de Patrick Poidevin
1978, 1h22min
de Joël Farges
avec Brigitte Fossey
1976, 53 min
Bibliographie
"La Commune", Laurent Mannoni, in La persistance des images, Cinémathèque française, 1996
Cinémas français 1900-1939 , Séguier, 2002
En écho
Sur le site du Forum des images
La Commune de Paris (mars-mai 1871) : un rappel historique des faits

 

La Libération de Paris, par Michèle Lagny, historienne

 

Belleville

 

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François Porcile
Réalisateur et conseiller musical de différents cinéastes (dont François Truffaut), François Porcile est également scénariste et écrivain de musique et de cinéma. Il a notamment publié Les musiques du cinéma français avec Alain Lacombe (Bordas, 1995), La belle époque de la musique française 1871-1940 (Fayard, 1999), ainsi que Les conflits de la musique française 1940-1965 (Fayard, 2001, Prix de la critique musicale, Grand prix de l'Académie Charles Cros).
novembre 2004
mise à jour 30 juillet 2008

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