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Parcours
Années 1940 (3) - La Libération de Paris
par Michèle Lagny
P89
Paris Liberated !
collection Paris Île-de-France
Pour fêter la fin de l'occupation allemande, des milliers de personnes défilent dans les rues de Paris en plein été et réinvestissent la ville : après l'horreur de la guerre, c'est l'espoir des jours nouveaux. Retour en images sur ce moment fort.


L'histoire officielle
Quand Paris s'est libéré
C'est la fête à la liberté
Et Paris n'est plus en colère
Et Paris peut aller danser !

La chanson de Mireille Mathieu, sur la musique de Maurice Jarre pour Paris brûle-t-il ? en 1966, resurgit facilement dans les mémoires, comme en écho au général de Gaulle à l'Hôtel de Ville, le 25 août 1944 : "Paris ! Paris outragé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré, libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France…". Un écho, oui, mais guère plus, comme le film lui-même pour les journées de la Libération. Grosse production franco-américaine, réalisée par René Clément avec d'énormes moyens et force appuis officiels, il fut présenté en soirée de gala au Palais de Chaillot en octobre 1966. Usant de toutes les ficelles d'une narration quasi hollywoodienne, il se contente de rejouer les événements de la semaine folle du 18 au 26 août 1944. Et reste peu convaincant : Orson Welles en Nordling, Kirk Douglas en général Patton, Alain Delon en Chaban-Delmas, et Claude Rich en général Leclerc comme Bruno Cremer en colonel Rol-Tanguy, restent toujours Welles, Douglas, Delon, Rich et Cremer. Seule, sans doute, Simone Signoret, en quasi figurante (la patronne d'un bar), fait vrai ! Et le général de Gaulle, bien sûr, descendant les Champs-Élysées le 26 août : là, c'est bien lui, filmé par les actualités en 1944, et réintégré dans la "fiction" ; car comment imiter son allure dégingandée, son long nez au vent, et, il faut bien le dire, sa dignité ?

Le film cherche à montrer la lutte des Parisiens et des "Leclerc", la dureté des combats, la joie de la foule, et tente d'expliquer les ressorts des événements. À sa façon et avec quelque partialité sans doute, faisant la part belle aux gaullistes et à la 2e DB, admettant du bout de la caméra, production oblige (Paramount), les Américains, tandis que, malgré la fréquence des brassards et des inscriptions FFI, les résistants, en particulier les communistes, ne sont guère représentés que par le Colonel "Rol-Cremer". Après tout, chacun a ses contraintes politiques et scénaristiques : la période est férocement gaulliste et le film s'inspire du best-seller de Collins et Lapierre, lui aussi fort orienté, et peu favorable aux FTP. C'est pourtant aux opérateurs de l'époque que, par souci d'authenticité, René Clément fit appel, comme il essaya de faire rédiger le scénario par des Français, dont Pierre Bost, qui participa au Comité de Libération du cinéma français en 1944. Mais finalement celui-ci fut réécrit par les Américains Gore Vidal et Francis Ford Coppola. Ainsi y a-t-il beaucoup de scènes sur les négociations des chefs d'état-major, forcément réinventées, avec quelques couacs : l'arrivée du professeur Joliot-Curie, avec ses bouteilles d'acide destinées à fabriquer des cocktails Molotov, fait un effet plus maladroitement comique qu'authentiquement héroïque lorsqu'il ordonne de vider champagne et Château Margaux pour préparer ses mixtures incendiaires !


L'image au jour le jour
Aussi a-t-on envie de retrouver les images originelles de ce moment mythique. Au cœur même de Paris, où le Forum des images occupe un des espaces héritiers du "Ventre de Paris", ces Halles qui maintenant recèlent, à côté du commerce le plus effréné, une mémoire enregistrée par le film ou la vidéo, à la fois cachée et offerte à tous. Ces images ne sont ni plus ni moins "vraies", au sens où elles détiendraient la capacité de montrer et d'expliquer ce que fut réellement la Libération de Paris en août 1944. Mais plus justes, plus émouvantes, plus saisissantes, étonnamment animées, charnelles, joyeuses. Leur répétition même, sur le moment comme dans les reprises ultérieures, fictions ou documentaires de commémoration, fixent l'éclat des jours, leurs joies et leurs dangers.

Parmi les plus fascinantes, les jeunes filles grimpant sur les chars, français ou américains, filmées dans l'envolée de leurs fraîches robes d'été, de leurs courtes jupes découvrant des jambes déliées, de leurs coiffures mi-retenues sur le front, mi-ébouriffées sur la nuque ; les baisers et les cigarettes mêlés, les casques militaires, les bérets des résistants, le mégot aux lèvres et les armes suspendues. Avec, bien sûr, un cliché ironique : deux titis assis sur le trottoir (peu concernés semble-t-il) et un raccord sur les cuisses découvertes de femmes qui se penchent sur un parapet ! Parmi les plans les plus drôles, ceux du lapin mascotte d'un des chars Leclerc, aperçu à plusieurs reprises, fort tranquille ; ou les efforts linguistiques d'un soldat américain : "Le peuple de Paris est beau et joli"…

On voit aussi bien des spectacles émouvants, comme celui des morts, indifféremment alliés, résistants ou allemands : un long plan pris en plongée depuis l'Hôtel de Ville, où tombe d'un char allemand une jeune et sombre silhouette, affalée d'abord, qui tente de tirer encore, puis s'immobilise, fauchée à nouveau par une rafale. Avant que ne se précipite sur le corps une femme FFI, Anita dite "l'amazone en savates", qui lui prend ses armes. Ou encore des effets héroïques, souvenirs réactivés de la vieille tradition révolutionnaire : la construction des barricades avec la chute répétée d'arbres abattus, des pavés arrachés, des sacs de sables entassés, des grilles d'arbres en renfort. Traces enfin des effets de la bataille, les canons de fusils menaçants, les fenêtres éventrées, les façades criblées, les intérieurs ravagés, comme au Sénat. Et partout surgissent les drapeaux.

Plusieurs "officiels", Leclerc, surtout, de Gaulle au-dessus de tous, responsables FFI, nouveaux préfets ou officiers sont souvent présents, mais les anonymes demeurent les plus nombreux, seuls, en groupes, en foule, en liesse, entraînés par les cris et les applaudissements, parfois affolés, plaqués à terre lors de fusillades inattendues, par exemple devant Notre-Dame lors du Te Deum raté du 26 août. Dans ce tourbillon, quelques images moqueuses encore : les chars allemands camouflés sous les branches, forêt shakespearienne en déroute, parfois repeints rapidement et naturalisés par une croix de Lorraine, un char qui passe devant une boutique à l'enseigne des Dragées Martial. Ou d'autres vengeresses : des femmes tondues, des "salopards" arrêtés, des Allemands qui se rendent, des colonnes de prisonniers. Mais peu finalement : moins de haine que de joie.


L'histoire immédiate
Les journées du 19 au 28 août 1944
Les archives allemandes, avant la débandade, montrent encore le calme du marché aux fleurs, les terrasses de café, les affiches d'un cycle Beethoven, des pêcheurs à la ligne, des promeneurs au Bois, et des enfants dans les parcs… Pourtant, dans Paris assiégé par l'émeute, le "chaos" s'installe. Parmi les innombrables bandes françaises, les unes sont officielles, les autres amateurs. Les montages sont donc fort différents et les mêmes images n'écrivent pas tout à fait la même histoire. Les films amateurs sont (peut-être) les plus innocents : ainsi Les journées du 19 au 28 août 1944, un montage muet aux images souvent tremblées et mal cadrées, articulées de la manière la plus simple en suivant l'ordre de la chronique, de la prise de la préfecture de Police et de l'Hôtel de Ville au défilé du 26 août sur les Champs-Élysées et au parvis de Notre-Dame. La Libération de Paris du Club amateur des cinéastes de France monté en 1944 et sonorisé quelques mois plus tard, remonte jusqu'à la grève de la SNCF dès le 11 août, insiste sur les affiches et proclamations qui réclament le soulèvement, sur les journaux interdits qui reparaissent, sur la diversité des points d'éclatement de l'insurrection (mairie de Neuilly, lycée Claude Bernard….), invente une petite séquence montrant le difficile passage de la moto d'agents de liaison entre deux chicanes de barbelés…

Caméras sous la botte ! ..., avec des images tournées en 1944 par deux cinéastes résistants, Albert Mahuzier et Roger Gudin, et remonté en 1957 avec reconstitution des astuces trouvées pour tourner en "caméra cachée", insiste sur la "spontanéité" des manifestations, privilégie le point de vue FFI, et souligne l'importance de la réorganisation immédiate dans les bureaux de la Préfecture et de l'Hôtel de Ville. Puis les deux héros partent à la rencontre de la 2e DB en sortant par la Porte d'Italie, et terminent leur montage par le "calme exode", à vélo, à cheval, en voiture, de 18 000 prisonniers allemands envoyés vers un camp au sud d'Orléans. C'est le triomphe du bon sens et de l'organisation ! Ce qui ne semble pas ressortir du montage américain Paris Liberated !, qui montre l'affolement des Parisiens, pendant la bataille, avec des arrestations brutales, des femmes tondues ou des fuites éperdues sous les fusillades, en opposition avec l'ordre strict des troupes américaines qui défilent le 26 août après les FFLsur les Champs-Élysées. Chacun son image de l'ordre !

Plus officielles, les archives de l'Etablissement cinématographique et photographique des Armées, d'un côté, et les extraits de France-Libre-Actualités, de l'autre ; les points de vue ne concordent pas exactement entre le service officiel des armées (qui montre évidemment davantage de chars et d'officiers d'état-major que de barricades) et la presse filmée reprise en main dès août 1944 par un Comité de libération du cinéma français, constitué à partir de plusieurs groupes de résistance. Le premier numéro date du 5 septembre 1944 et sort après la tempête. Mais un film collectif a été réalisé pendant les événements : c'est La Libération de Paris, montage des prises de vues de l'insurrection prévues dès le 14 août, avant même le déclenchement de celle-ci, et dont le titre initial était France-Libre-Actualités : le journal de la Résistance. Opérateurs, monteurs, techniciens répondent à l'appel du CLCF, et un film "sur le vif", commenté par Pierre Blanchar sur un texte de Pierre Bost put être projeté dès le 29 août au cinéma le Normandie (évidemment !). Cet événement signe à la fois la Libération de Paris et celle du cinéma, où se développent des espoirs de production coopérative qui feront long feu. Le film met en scène tous les acteurs de la Libération, en présentant successivement l'insurrection, l'arrivée de la 2e DB et la journée de triomphe du 26 août. Mais on a déjà vu de longs plans de prisonniers allemands avant l'arrivée des chars, ce qui tend à donner la première place aux résistants. Pourtant le film évite d'insister sur le rôle des communistes FTP ou de la CGT, sur les conflits internes (incidents entre de Gaulle et le Conseil national de la Résistance le 25 août) et sur les dissonances (premières brutalités de l'épuration ou fusillade de Notre-Dame, remplacée par une image d'union républicaine) ; le commentaire enflammé insiste sur la participation populaire, et sur la mémoire révolutionnaire des Parisiens sur les barricades, tout en reconnaissant le rôle du Général. "Enfin un micro français parle français..." souligne le commentateur à propos de son discours à l'Hôtel de Ville.


Toujours Paris
Vues de Paris été 1944
Non, Paris ne brûle pas, malgré les fumées d'incendies qui s'élèvent de-çi de-là. Grâce à la mansuétude du gouverneur militaire allemand Von Choltitz ? Sans doute, mais surtout parce que c'est une cité de légende, indestructible. Et parce que du tourbillon désordonné des images comme des contradictions des combattants surgit le sentiment d'une prise de possession de la ville. La préfecture de Police, l'Hôtel de Ville, lors de l'insurrection ; la rue Saint-Jacques avec les "Leclerc" menacés par les snipers des toits de la Sorbonne, le Luxembourg et le Sénat, l'avenue de l'Opéra. Le Crillon, le Majectic et l'hôtel Meurice, hauts lieux de l'occupation allemande. L'arc de Triomphe, l'avenue des Champs-Élysées, la place de la Concorde, la rue de Rivoli, l'Hôtel de Ville encore, où de Gaulle prononce son discours, Notre-Dame, lors du défilé triomphal. On sort parfois de la zone centrale : la prise de la mairie aux Batignolles, quelques chars, avenue d'Orléans, ou à Charonne, et même la place de la République, sur fond de Marseillaise, symbole de la Nation pour le CLCF qui, dans La Libération de Paris, préfère un symbole national à Notre-Dame pour terminer la journée du triomphe.

Les hauts lieux de l'histoire permettent une balade touristique traditionnelle, avec photos-clichés, que les prises de vues américaines affectionnent. Des Vues de Paris de l'été 1944, filmées par des opérateurs américains, et une bande de la March of the time, de mai 1945, en couleur et muette, nous emmènent en balade avenue de l'Opéra, à l'Hôtel de Ville et sur les quais, s'attardent sur les tours de Notre-Dame, et remontent jusqu'au Sacré-Cœur. Mais les GI's n'oublient pas la terre natale : plusieurs plans de la tour Eiffel sont pris en avant du pont de Grenelle, cadrant la tour derrière le pont et la réduction de la statue de la Liberté ! Paris est à tous !


Filmographie sélective
Fiction
de René Clément
1966, 2h42min
Actualités
sélection Forum des images
1944, 10min
sélection Forum des images
1944, 32min
sélection Forum des images
1944, 7min
Vues de Paris, série March of the Time
sélection Forum des images
1945, 2min36s
Documentaires et reportages
de Albert Mahuzier
1944, 26min
réalisation collective
1944, 30min
réalisation anonyme
1944, 7min
réalisation Forum des images
1989-94, environ 34x30min
de Romain Goupil
1994, 54min
Films amateurs
de Jean Baldensperger
1944, 23min
réalisation collective
1944, 46min
Bibliographie
La Libération de la France, Jean-Pierre Azéma et Olivier Wievorka, La Martinière, 1993
La Libération de Paris, Adrien Dansette, Perrin, 1994
Libération fête folle, 6 juin 44-8 mai 45 : mythes et rites, ou le grand théâtre des passions populaires , Autrement n°30, 1994
Paris, 1944. Les enjeux de la Libération, (dir.) Christine Lévisse-Touzé, Albin Michel, 1994
La Libération de la France : juin 1944-janvier 1946, André Kaspi, Perrin, 1995
Les écrans de l'ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, 1944-1969, Sylvie Lindeperg, CNRS, 1997
Clio de 5 à 7. Les actualités filmées de la Libération : archives du futur, Sylvie Lindeperg, CNRS, 2000
En écho
Sur le site du Forum des images
Années 1940 (1) - Paris allemand, par Michèle Lagny

 

Années 1940 (2) - La rafle du Vél d'Hiv

 

Paris au coeur de l'histoire

 

Michèle Lagny
Historienne, spécialiste des relations entre histoire et cinéma, Michèle Lagny est notamment l'auteur de Générique des années 30 (Presses universitaires de Vincennes, 1986), avec Marie-Claire Ropars, Pierre Sorlin et Geneviève Nesterenko, et de De l'histoire du cinéma : méthode historique et histoire du cinéma (Armand Colin, 1992).
mai 2004
mise à jour 21 novembre 2008

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