Parcours
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par Michel Cadé
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P192 | |||||
Scopitone de Laurent Perrin
collection Paris Île-de-France
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Entre espérance et désenchantement, sur des modes tantôt classiques, tantôt corrosifs, le cinéma des années 1980 décline des
paysages urbains traversés par la crise, la délinquance, le chômage, la disparition des quartiers populaires. On y découvre
une capitale qui, malgré l'insensibilité des beaux quartiers face à la crise, ne peut plus ignorer les problèmes qui gangrènent
sa banlieue. Sur fond de luttes pour l'intégration, le personnage de l'immigré réapparaît, étoffé par l'actualité. Retour
en images sur ces années marquées par l'arrivée de la gauche au pouvoir.
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Non que le cinéma se soit particulièrement intéressé au changement politique : l'élection de François Mitterrand à la présidence
de la République en mai 1981 et le rassemblement spectaculaire de la Bastille ne sont mis en scène que dans un seul film,
Etats d'âme (Jacques Fansten, 1986). Le polar, genre sensible et majoritairement parisien, n'est modifié en rien. Seul le remplacement de la photo de Valéry Giscard d'Estaing
aux murs des commissariats par celle du nouveau chef de l'Etat témoigne d'un changement que le cinéma se refuse à enregistrer.
Flics et voyous semblent jouer la même cruelle partie de cache-cache selon des règles inchangées.
Pourtant, dans le Belleville brutal et sans joie de La balance (Bob Swaim, 1982), désespéré et glauque de Tchao Pantin (Claude Berri, 1983), hyper violent de L'arbalète (Sergio Gobbi, 1984) ou pittoresque et gaillard des Ripoux (Claude Zidi, 1984) comme dans le 13e déglingué de Pinot simple flic (Gérard Jugnot, 1984), dans les intérieurs froids et les extérieurs nuit glacés de Police (Maurice Pialat, 1985) ou dans le Ménilmontant survolté des Keufs (Josiane Balasko, 1987), un personnage nouveau dans le cinéma français grand public change la donne : l'immigré. Originaire
du Maghreb ou d'Afrique sub-saharienne, s'il ne joue pas encore dans les polars le beau rôle, sa présence est désormais incontournable
et se retrouve bien au-delà du genre en question.
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A ces individualités éclatées, groupées, au mieux, dans une petite bande, semble s'opposer le groupe ethnique structuré mais
ouvert et accueillant des squatteurs blacks de Marche à l'ombre (Michel Blanc, 1984) et de Black mic mac (Thomas Gilou, 1986). Mais la dissolution, par la police dans le premier film et dans le second évitée de justesse par une
sorte de coup de baguette magique bureaucratique, de l'utopique communauté africaine, qui au passage sauve les blancs de leur
ennuyeux sérieux, sonne le glas de la tentative et renvoie les immigrés au grand melting-pot négatif suscité par la crise.
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Les quelques films nostalgiques sur ce Paris en cours de boboïsation confirment le diagnostic plus qu'ils ne l'infirment.
L'évocation des riches heures d'un Ménilmontant ouvrier de l'après-guerre aux années 1980 dans Vive la sociale (Gérard Mordillat, 1983) a des allures de doux requiem pour un quartier défunt. La fin de vie, entre derniers petits bonheurs
et dernières fâcheries, du vieux couple de Beau temps mais orageux en fin de journée (Gérard Frot-Coutaz, 1986) paraît assimiler le destin du Ménilmontant-Belleville populaire à celui des protagonistes. Les
mémés qui dans le même quartier défendent calibre au poing leur vie, et le passé, dans La fée carabine (Yves Boisset, 1987) témoignent d'une histoire qui s'achève.
Rien d'étonnant dans cette atmosphère souvent crépusculaire, fin et commencement, à ce que nombre de réalisateurs aient privilégié
les scènes de nuit : Maurice Pialat dans Police, Claude Berri dans Tchao Pantin, Mehdi Charef dans Miss Mona pour prendre quelques films exemplaires ou Juliet Berto avec Neige (1981) et, dans un tout autre genre, Virginie Thévenet dans La nuit porte-jarretelles (1984).
L'importance donnée au métro, en tant que lieu d'une partie de l'action, radicalise le discours d'exclusion et de crise tenu
par ce cinéma du constat social. Loin d'y être d'abord un moyen de transport, il est une sorte de lieu du non-droit, de la
violence sociale, facilitée, sinon suscitée, par la déshumanisation des contrôles et des couloirs. Le poinçonneur des Lilas (Jean Bacque, 1958) parti, reste l'envers - l'enfer ? - de la surface. Vols perpétrés par Madjib et Pat dans Le thé au harem d'Archimède, agression ordinaire dans Pinot simple flic, racket à l'emplacement favorable à la manche et expédition punitive dans Marche à l'ombre, arrestation dans Miss Mona, errance d'un saint homme, perdu dans le labyrinthe de l'ailleurs, dans Black mic mac, évasion en mobylette dans le baroque Diva (Jean-Jacques Beineix, 1980), les occurrences sont multiples qui font du métro un lieu à part entière du cinéma parisien
des années 1980, caractérisé par l'insécurité qui y règne mais aussi par une sorte d'immobilisme jubilatoire qui contraste
avec les changements intervenus en surface.
Métro du pire mais aussi de la gouaille sauvegardée que met en scène dans un style inimitable et avec maestria un alors tout
jeune réalisateur, Luc Besson. Avec Subway (1985), il offre aux vieux couloirs et aux stations fanées une nouvelle jeunesse. Un peu limite, ce film qui voit l'aimable
voyou conquérir la bourgeoise mystérieuse, non sans risques, nous rappelle qu'il est, à l'écran, un autre Paris où la vie
se poursuit simple et tranquille, loin des mutations du temps, comme dans une autre époque.
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Moins grand public, le cinéma d'Eric Rohmer parcourt un Paris où de jeunes adultes trouvent leur place dans une société dont
ils maîtrisent les codes. Le cinéaste découvre aux antipodes des banlieues populaires les villes nouvelles : Marne-la-Vallée,
réduite à une maison plus souvent vue en intérieur qu'en extérieur, mais affichant une incontestable modernité, dans Les nuits de la pleine lune (1984) ; Cergy-Pontoise et son architecture néoclassique filmée avec élégance dans L'ami de mon amie (1987). Rohmer dresse à son habitude la carte du cœur sans perdre de vue la centralité de Paris. C'est tout le propos des
Nuits de la pleine lune et, dans une moindre mesure, de Conte de printemps (1989). Sa liberté de ton et son amour de Paris lui permettent cependant, dans La femme de l'aviateur (1980), de dépasser les clivages géographiques et sociaux, un peu simplistes dans le cinéma des années 1980. Tourné dans
le 10e, autour et dans la gare de l'Est, et surtout dans un 19e rendu presque agreste par l'insistante présence à l'image
des espaces paisibles du Parc des Buttes-Chaumont, ce film met en présence, au prétexte d'un subtil marivaudage, des catégories
sociales qui d'ordinaire se rencontrent peu dans le cinéma : un employé du tri postal, certes étudiant, une cadre, un pilote
de ligne et une lycéenne.
Ce contact sans opposition brutale entre classes sociales se retrouve dans Diva comme dans le flamboyant Les uns et les autres (Claude Lelouch, 1981) ou le consensuel Romuald et Juliette (Coline Serreau, 1989). En revanche les grosses productions populaires continuent à travers thrillers politiques et romances
sentimentales à privilégier, comme à l'habitude, les "beaux quartiers" : Une affaire d'hommes (Nicolas Ribowski, 1981), Le bon plaisir (Francis Girod, 1983), La crime et Rive droite rive gauche (Philippe Labro, 1983 et 1984), Le quatrième pouvoir (Serge Leroy, 1985). C'est aussi le cas de l'inattendu Trois hommes et un couffin (Coline Serreau, 1985) ou de I want to go home (Alain Resnais, 1989).
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Cette filmographie reprend l'ensemble des films cités dans ce parcours thématique évoquant la capitale. |
Conte de printemps, série Conte des quatre saisons
de Eric Rohmer
avec Hugues Quester
fiction, 1989, couleur, 1h43min
La femme de l'aviateur, série Comédies et proverbes
de Eric Rohmer
avec Marie Rivière
fiction, 1980, couleur, 1h42min
de Josiane Balasko
avec Josiane Balasko et Isaach de Bankole
fiction, 1987, couleur, 1h37min
Les nuits de la pleine lune, série Comédies et proverbes
de Eric Rohmer
avec Pascale Ogier
fiction, 1984, couleur, 1h37min
de Serge Meynard
avec Smain et Pascal Legitimus
fiction, 1987, couleur, 1h29min
"Le poinçonneur des Lilas" par Serge Gainsbourg, série Paris musique
de Jean Bacqué
vers 1958, noir et blanc, 2min28s
de Coline Serreau
avec Daniel Auteuil et Firmine Richard
fiction, 1989, couleur, 1h45min
de Nicolas Ribowski
avec Claude Brasseur et Jean-Louis Trintignant
fiction, 1981, couleur, 1h34min
de Gérard Mordillat
avec François Cluzet et Robin Renucci
fiction, 1983, couleur, 1h32min
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L'évolution des grands ensembles parisiens, par Jeanne Hamel Levasseur | |||||||
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Les squats de Paris | |||||||
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Le Paris de Maurice Pialat, par Pascal Mérigeau | |||||||
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Jean-Claude Brisseau | |||||||
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Films policiers | |||||||
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Michel Cadé
Michel Cadé est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Perpignan et directeur du Festival de critique historique
du film Confrontation. Spécialiste du mouvement ouvrier français, il a depuis une quinzaine d'années réorienté ses recherches vers l'étude des
rapports histoire/cinéma et les représentations de la société dans le cinéma. Il est l'auteur, entre autres, de L'écran bleu. La représentation des ouvriers dans le cinéma français (Presses Universitaires de Perpignan, 2000).
septembre 2005
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