Parcours
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par Jeanne Hamel Levasseur
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P82 | |||||||
L'amour existe de Maurice Pialat
collection Paris Île-de-France
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Cette synthèse consacrée à l'évolution des grands ensembles parisiens à travers les documentaires télévisés a été effectuée
dans le cadre du statut de chercheur associé au Forum des images, qui permet à des personnes effectuant des recherches universitaires,
professionnelles ou personnelles de bénéficier d'un accès privilégié aux films présents dans les collections du Forum des
images.
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Dans les années soixante, les grands ensembles commencent à se dessiner dans le paysage urbain et différents points de vue
commencent à s'affirmer à travers les documentaires qui leur sont consacrés.
Le premier point de vue défendu est celui de ceux voyant dans la construction de ces grands ensembles une solution idéale
au problème du logement ; on le voit clairement dans Ils ont trouvé un appartement. Ceci apparaît très clairement également dans Le logement, émission où Pierre Sudreau, ministre de la Construction et du Logement, répond aux questions des téléspectateurs et invités.
En effet, le présentateur commentera un reportage sur une famille mal logée de la façon suivante : "on a l'impression que le logement c'est la clé du bonheur". Ce document expose les raisons qui mèneront par la suite à la construction des grands ensembles avec l'ampleur que nous
lui connaissons. C'est aussi pour les défenseurs des grands ensembles une façon de créer une ville nouvelle idéale. C'est-à-dire
une "ville-dortoir" que le commentateur Pierre Tchernia nous décrit dans Quarante mille voisins comme étant une ville sans usine, sans atelier, sans fumée ni pollution, sans bruit. Ce sujet, "consacré au grand ensemble de Sarcelles (95), insiste sur les progrès que recèle cette nouvelle conception du logement (le
confort, l'hygiène, l'espace de ces appartements) et de l'organisation urbaine".
Mais ce commentaire optimiste se tempère vers la fin du reportage lorsque le commentateur s'interroge sur la propagation de
la délinquance juvénile. A Pierre Tchernia de conclure sur une interrogation : "Les grands ensembles sont-ils un mal nécessaire ou un nouvel aspect du plaisir de vivre ?" Sa réponse restera mystérieuse, voire obscure : "ce sera à ces enfants, si vous le voulez bien, de répondre dans quelques années." Cet optimisme tempéré que l'on retrouve également à la fin de l'émission Le logement amène progressivement à un autre point de vue, radicalement opposé, celui d'un discours critique sur ce nouvel urbanisme
émergent. Les images de Maurice Pialat dans L'amour existe illustrent bien cela. De la même façon, l'émission Bâtir pour les hommes dénonce les conditions de vie dans les cités dortoirs, construites à la hâte pour pallier l'insuffisance des logements.
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La nouveauté liée aux documentaires produits dans les années soixante-dix est celle de la dénonciation par les habitants eux-mêmes
de leurs conditions de vie dans les grands ensembles de banlieue. En effet, auparavant, les critiques venaient des intellectuels,
sociologues, architectes, politiques et même des scientifiques. L'évolution est donc ici la parole donnée aux habitants. Dans
les trois documentaires sélectionnés, les habitants expriment vivement leur mécontentement par rapport à leurs conditions
de vie. Les témoignages laissent également transparaître la détresse et la misère des habitants. Notamment le documentaire
Grigny la Grande Borne qui met en évidence l'engrenage de la pauvreté, de la maladie, de l'échec scolaire et du chômage.
La particularité de deux de ces films documentaires est la présence des architectes concepteurs du projet. Emile Aillaud,
l'architecte de la cité HLM Grande Borne à Grigny (91), est très présent dans ce film et ses interventions ponctuent régulièrement
ce documentaire. Il défend cette cité et expose ses visions novatrices de l'urbanisme ; il explique qu'il peut par son architecture
"changer la mentalité des gens" et ainsi par "l'univers qu'il manipule et forme, manipuler un devenir des gens". Il a créé à la Grande Borne "la cité du bonheur, la cité des enfants". L'Etat, en lui confiant la réalisation de la Grande Borne, voulait redorer le blason du logement social. Même si ce n'est
pas exprimé clairement dans le reportage, l'idée est ici de rompre avec les grands ensembles monotones et impersonnels en
proposant un nouveau paysage urbain plus diversifié et aux espaces verts plus vastes. Malgré cela, un paradoxe apparaît nettement
à travers la première réaction d'une interviewée qui explique que "tous les grands ensembles sont pareils" et que d'ailleurs elle "passe son temps enfermée dans son appartement". Les habitants ne ressentent pas cette innovation dans leur vie de tous les jours. On retrouve plus ou moins la même idée
dans Trois tours et puis s'en vont, reportage télévisé sur les Olympiades du 13e arrondissement de Paris, où le discours de l'architecte concepteur du projet
défend ses choix, et où les habitants dénoncent l'absence de vie et d'animation dans le nouveau quartier. Il apparaît donc
un décalage profond, une rupture entre les concepteurs et les habitants.
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Dans la continuité des documentaires précédents mettant en avant le mal de vivre des "banlieusards", on retrouve dans les années quatre-vingt deux films de ce type. La parole est donnée aux habitants autant dans Grande banlieue et petits loubards, un documentaire qui tente de comprendre la montée de la violence de la cité des Canibous à Nanterre (92), que dans Banlieue, un documentaire dressant un constat impitoyable sur la cité HLM du Luth à Gennevilliers (92). Une différence existe entre
les habitants interrogés auparavant et ceux filmés ici dans les années quatre-vingt. Les immigrés, maghrébins essentiellement,
apparaissent désormais devant la caméra. Les habitants des "cités" ont changé en une décennie, les grands ensembles se sont vidés des Français moyens laissant leur place aux immigrés en mal
de logement.
L'évolution remarquable liée aux années quatre-vingt est celle de l'apparition de documentaires sur les destructions d'immeubles.
Le film Faut-il raser les grands ensembles ? pose la question de la rénovation ou de la destruction. Ce sujet est polémique et l'on sent que nait une réflexion autour
de ce thème. La destruction est également au cœur de Notes pour Debussy de Jean-Patrick Lebel. Ce film documentaire prend prétexte de la première expérimentation de la destruction d'une tour, la
barre Debussy de la cité des 4000 à la Courneuve (93). Cette enquête dédiée à Jean-Luc Godard reprend le personnage joué par
Marina Vlady dans Deux ou trois choses que je sais d'elle, tourné dans cette cité en 1967. Le documentaire est un va-et-vient entre des extraits du film et des témoignages des locataires
de la construction de cette cité et cela jusqu'à l'implosion finale.
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Le regard péjoratif et alarmant de la décennie précédente subsiste. Le reportage La cité de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry (92) illustre cela à travers la vétusté de la cité et la colère des habitants. Cependant les années quatre-vingt-dix
sont celles d'un grand tournant dans le type de documentaires consacrés aux banlieues.
En effet, cette décennie est celle des "explications sur la banlieue en révélant certains de ses visages rassurants". Tout d'abord sous la forme de témoignages simples sur des faits ordinaires dans Chronique d'une banlieue ordinaire où la destruction de quatre tours HLM devient l'occasion de raconter sa cité (cité HLM du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie,
78). Cités banlieues est également un documentaire construit à partir de témoignages de "jeunes" de la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis (93). On découvre à travers ce reportage que les maux des banlieues ne sont en
fait que le reflet de phénomènes sociaux plus généraux. On perçoit également à travers ce documentaire la volonté de ces adolescents
de donner une autre image de leur cité et de rétablir "leur vérité" par rapport aux médias. Ils expliquent d'ailleurs : "on ne peut pas pifrer les médias, […] ils donnent une mauvaise image de notre cité".
Les autres reportages de cette décennie vont également dans le sens d'un besoin des habitants de se réapproprier leur image.
Cela passe par des films réalisés par eux-mêmes afin que l'on pose un autre regard sur leur lieu de vie. Dans Ça va sauter, les habitants de la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis (93), filmés par deux d'entre eux, racontent la vie quotidienne
d'un quartier avant la destruction d'une barre HLM. Un article du journal Le Monde s'intéressant à ce film explique que la banlieue "se regarde elle-même, construisant une dignité à travers l'objectif". On retrouve le même mode opératoire dans Les Tarterêts, la banlieue sans haine, un documentaire réalisé par une association de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes (91). Les habitants sont ici soucieux
d'améliorer leur image abimée par deux années de violence et un large écho médiatique. L'idée est de redonner une vision positive
et cela grâce à un regard intérieur à la cité.
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Dans Naissance d'une banlieue, mort d'un village qui traite de l'évolution de Goussainville (95) à travers des archives et des interviews, on est sur un registre rétrospectif.
Les documentaires récents sont plus de l'ordre de la "commémoration", voire même de la nostalgie. C'est le cas de Ma maison perdue qui est un film original sur les souvenirs, sur la vie passée au sein d'une cité qui va bientôt disparaître, la cité des
Saussaies à Saint-Denis.
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Quarante mille voisins, série 5 Colonnes à la une
de Pierre Tchernia
documentaire, 1960, noir et blanc, 14min
Bâtir pour les hommes, série Visa pour l'avenir
de Jean Lallier
documentaire, 1963, noir et blanc, 59min
Ils ont trouvé un appartement, série 5 Colonnes à la une
de François Gir et Henri de Turenne
documentaire, 1965, noir et blanc, 11min
Trois tours et puis s'en vont, série Contes à vivre debout
de André Voisin et Jacotte Chollet
documentaire, 1977, couleur, 1h
Grande banlieue et petits loubards, série Les Mercredis de l'information
de Annick Morel
documentaire, 1981, couleur, 51min
de Jean-Patrick Lebel
documentaire, 1987, couleur, 1h21min
Ca va sauter, Chronique d'une cité
de Habib Boumat, Michel Dréano et Bertin Yapi
documentaire, 1995, noir et blanc, 53min
Jeanne Hamel Levasseur
Jeanne Hamel Levasseur (jeannehl@free.fr) a été chercheur associé au Forum des images dans le cadre du DEA L'urbanisme et ses territoires (Université Paris XII).
décembre 2004
mise à jour 15 avril 2008
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