Parcours
Indissociable de la lutte des sans-papiers et autres mal logés, souvent représenté dans la fiction comme le repaire de trafiquants
en tous genres, le squat est vécu par la majorité de ses habitants comme le lieu de toutes les galères, voire du désespoir.
A moins qu'on le considère comme une alternative à la crise du logement ou qu'un collectif d'artistes s'en empare pour le
transformer en un lieu d'épanouissement et de création.
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Des familles, lassées de se balader d'hôtel en hôtel ou d'autres souffrant de vivre dans des appartements insalubres, ne supportent
plus cette précarité et ce trop peu de reconnaissance sociale. Ainsi le squat, plus qu'une habitation provisoire, est utilisé
lors d'un temps de lutte comme un moyen de pression auprès des autorités publiques.
Tel est le cas des trois cents sans-papiers dont le combat pour leur régularisation a été médiatisé en 1996. Avant de trouver
refuge dans l'église Saint-Bernard (18e), les sans-papiers et leurs sympathisants s'étaient installés dans l'église Saint-Ambroise
(9e) d'où ils avaient été expulsés en mars 1996. Dépité, Monseigneur Jacques Gaillot déplorait cet événement avec "un sentiment de honte pour [son] pays qui traite ainsi les étrangers, sentiment de honte pour [son] Eglise qui accepte une
expulsion". Selon l'homme d'Eglise, le lieu de culte, même s'il est squatté, c'est-à-dire détourné de son utilisation habituelle, devrait
demeurer un lieu de paix et d'accueil. Pourtant après plusieurs mois d'occupation de l'église Saint-Bernard, malgré une grève
de la faim qui a conduit à la mort de l'un des leurs et malgré le soutien de personnalités comme l'abbé Pierre, l'ambassadeur
Stéphane Hessel, l'actrice Emmanuelle Béart ou le metteur en scène Ariane Mnouchkine, ils n'obtiendront pas gain de cause.
Le 24 août 1996 la préfecture envoie une troupe de CRS qui, à renfort de gaz lacrymogènes, franchit les barricades improvisées
avec les bancs de l'église et expulse les familles de leur refuge sous les caméras de Samir Abdallah et Raffaele Ventura (La ballade des sans-papiers, 1996).
Isolé dans un quartier de ruelles où poussent des arbres fleuris, hors du temps de la ville, habité par des êtres qui ne cicatrisent
pas de la douleur d'être "intrus" sur le sol français, le squat se mue en symbole dans le magistral film de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval La blessure (2003). Son isolement et ses murs bétonnés sont à l'image de ces autres marginalisés de la société française : les bénéficiaires
du droit d'asile politique. Ils n'ont pas d'autre source de revenus que la vente de cerises grappillées au détour des jardins,
s'alimentent en eau dans les cimetières et ont pour seul souvenir l'ostracisme et l'humiliation à l'aéroport de Roissy, la
peur viscérale d'être renvoyés au bûcher : le Congo-Kinshasa en guerre d'où ils ont réussi à fuir. La vie au squat renforce
leur sentiment d'exclusion. Ainsi, Blandine, repliée sur elle-même au fond de son lit dans sa chambre murée, entend l'un de
ses compagnons d'infortune lui dire que sa maladie est celle de la peur de tous les "petits blancs" qui sont à l'extérieur. En somme, la peur de l'autre et du rejet par l'autre.
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Par exemple, au 37 boulevard Malesherbes, en mars 1995, le DAL réquisitionne un immeuble laissé vide par une société d'assurances
pour y loger cent quatre-vingts sans domicile fixe. Les habitants s'organisent, avec pour seul espoir celui d'obtenir des
logements personnels légaux et de sortir ainsi du squat. Comme pour les sans-papiers, l'enjeu est la reconnaissance administrative
car, sans adresse officielle, tous peinent à trouver du travail. Certains d'entre eux ne peuvent plus voir leurs enfants puisque
les conditions d'accueil ne sont pas conformes aux exigences des juges. Sortir du squat est l'obsession de ceux qui veulent
se réinsérer dans la société, avoir une vie "normale". Les quelques squatteurs de l'immeuble du 8e arrondissement suivis par la réalisatrice Stéphane Mercurio dans Cherche avenir avec toit (1997) ne peuvent plus contenir leur joie lorsqu'ils obtiennent enfin de la société d'assurances les baux de leurs logements
personnels à Crimée (19e).
Cependant il leur faudra désormais faire face à la méfiance de leurs nouveaux voisins qui les voient arriver d'un mauvais
œil : "Il y a eu des pétitions [contre leur arrivée] dans le quartier" souligne un riverain dans Cherche avenir avec toit. L'image négative du squat colle à la peau de celui qui y a vécu car, pour l'opinion publique, le squatteur est un hors-la-loi,
un drogué et donc un "parasite", tel le coucou installé sans vergogne dans le nid de la bergeronnette.
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Certains prennent les devants et dégradent des appartements voués à la démolition ou au rachat pour les rendre inhabitables,
comme c'est le cas par exemple dans le film de Jacques Audiard, De battre mon cœur s'est arrêté (2004), où, une fois n'est pas coutume, le point de vue est centré sur celui des promoteurs immobiliers. Parmi les pratiques
d'intimidation, ceux-ci détruisent à la hache les parquets et les fenêtres d'un de leurs immeubles, sans aucune compassion
pour les familles africaines qui occupent les lieux. Cela n'est pas sans rappeler les incendies criminels du 20e arrondissement
évoqués par Michael Hoare dans Apprentissage d'une méthode (2002), première partie de sa trilogie sur l'histoire du DAL. Les incendies, imputés à des spéculateurs immobiliers, firent
en 1986 une vingtaine de morts parmi les occupants d'immeubles insalubres, forçant les survivants à s'enfuir et permettant
ainsi aux spéculateurs de récupérer les bâtiments.
Il arrive que ce type d'actions ne soit pas le fait de promoteurs immobiliers véreux mais celui des autorités publiques. Dans
le bras de fer qui oppose en 1994 les familles occupant une maison maternelle rue René-Coty et la mairie du 14e, la police
reçoit l'ordre de détruire la crèche qui pourtant venait, sur décision de justice, de leur être attribuée pour une plus longue
période. L'abbé Pierre, grand acteur de la lutte contre l'exclusion, constate par lui-même les dégâts et devant la caméra
de Stéphane Mercurio dans La vie sans toit (1994), informe non sans émotion les occupants du lieu et les médias qu'il n'est plus possible d'entrer puisqu'un mètre de
gravats encombre désormais les pièces. Par conséquent, les familles sont contraintes d'accepter les hôtels payés par la mairie
à défaut d'obtenir des logements décents et pérennes.
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L'attachant Lambert joué par Coluche dans Tchao Pantin (1983), ayant perdu le goût de vivre depuis l'assassinat de son unique ami, choisit un squat de Belleville comme terrain
de règlement de compte : il abat le meurtrier dans un immeuble délabré de la rue Julien-Lacroix, sans se soucier de l'imminence
de sa propre mort.
Les squats sont représentés comme des "zones de non-droit", lieu privilégié de trafics en tous genres où la violence urbaine se débride sans limite. Un entrepôt désaffecté, sans propriétaire,
sans contrôle ni responsable devient le quartier général idéal pour les caïds de La Squale (2000). Ils y dealent, s'y battent, y organisent des combats de chiens et y préparent leurs futures rapines.
En revanche, lorsqu'il s'agit de commettre les viols collectifs dont il est coutumier, le clan s'isole dans un container abandonné
au milieu d'une prairie, loin de tous les zonards qui traînent dans l'entrepôt.
Au-delà du crime machiste et pervers, on s'interroge sur la symbolique du container, évoquant les grands ports de Gibraltar
ou d'Algésiras, hauts lieux de trafics et miroitants accès à une Europe convoitée. Ne peut-on pas dire qu'à l'intérieur de
ce squat d'un nouveau genre un deuxième viol se joue, celui du fils rebelle contre la République et ses lois sur l'immigration
? D'ailleurs, une des jeunes femmes outragées, "renvoyée au bled" par ses parents, apercevra peut-être dans le port du retour les piles ordonnées des containers en attente pour une énième
navette entre les deux côtés de la Méditerranée.
Le squat a la vie dure dans la fiction mais le documentariste Jean Schmidt s'intéressant de près à l'univers des toxicomanes
et autres "anges déchus" confirme cette vision noire des choses.
En effet, pour ceux qui n'ont pas les moyens de s'organiser, plus marginaux encore que les précédents, toxicomanes, zonards,
alcooliques, le squat participe de cette vie de galères et parfois n'est même plus un lieu fixe où l'on retrouve sa bande
ou sa famille mais le lieu où l'errance en solitaire s'arrête le temps d'un somme. Zora en témoigne dans le très dur De rage et d'espoir (1994) : Lorsqu'elle est trop "défoncée" pour rentrer au foyer de femmes de La Villette, elle dort "dehors, dans le métro, dans les gares, sur les bancs, [elle] squatte n'importe où". Ce qui ne facilite pas le chemin de la désaccoutumance. En effet, la stabilité est essentielle pour qu'un traitement à la
méthadone soit réussi. L'un des toxicomanes interviewés par Jean Schmidt affirme que la méthadone ne représente que 20% des
chances de se sortir de l'héroïne. Les 80% restants sont impulsés par d'autres "produits de substitution", c'est-à-dire : l'appartement et le travail. Le squat mène donc à bien des impasses.
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Leurs chemins se croisent de temps en temps puisqu'ils se logent de la même manière : sans domicile et artistes squatteurs
sont pourtant loin d'avoir les mêmes objectifs ni les mêmes idéaux.
Deux documentaires relatent les événements qui ont poussé à la rencontre les familles déboutées de la rue René-Coty et un
collectif d'artistes occupant un atelier du 10e arrondissement.
Le film de Stéphane Mercurio précédemment cité, La vie sans toit, montre à quel point les familles sont dans un état de lassitude et d'inquiétude profonde à l'heure où les policiers les
ont expulsées de la maison maternelle, ne leur proposant rien d'autre que quinze jours d'hôtel payés. À l'Atelier 61, il est 22 heures lorsque le DAL téléphone pour savoir si le collectif peut les accueillir pour la nuit. D'après Bernard
Aidani, metteur en scène interviewé dans État des lieux état des gens (1994), cela semblait évident d'accepter de les héberger puisqu' "on ne peut pas séparer un travail artistique du phénomène social".
Stéphane Mercurio est passée de l'autre côté de la caméra pour le film de Cécile Batillat. Elle raconte "les yeux ronds comme des billes des enfants" et l'étonnement des familles qui n'avaient certainement jamais vu de l'art "underground, branché". Après la rencontre, les artistes rebondissent aussitôt : ils organisent une exposition de photographies et de témoignages
intitulée 1, 2, 3, 4 mois d'hôtel, demain j'habite où ? Pour les artistes d'Électron libre, sans aucun doute le squat le plus célèbre de Paris grâce à la visibilité de sa façade rue de Rivoli, la solidarité n'est
pas aussi évidente : si le squat s'ouvre aux sans domicile, il changera de statut. Or les artistes souhaitent préserver leur
îlot de création. L'un des peintres fait ce constat amer : "On devient nous-mêmes excluants".
Parce que leur situation paraît plus paisible, on en oublie presque que les artistes squatteurs vivent eux aussi dans la précarité.
Cependant, malgré leur statut partagé de squatteurs, aucun d'eux ne se risque à faire des rapprochements avec les sans domicile.
Une explication principale à cela : le choix de vie. La peintre et sculpteur Badia est très claire : "Du moment que je peux travailler, j'existe. Le logement je m'en fous". Vivre dans la précarité, sans confort minimum, pourquoi pas si la liberté de s'exprimer est sauve ?
Tel est le paradoxe inhérent au squat d'artistes : comment trouver un compromis entre le désir de reconnaissance et le besoin
de se marginaliser de la société marchande ?
Les artistes sont toujours sur la brèche : soucieux de pérenniser un lieu de création que les propriétaires n'ont pas destiné
à la même utilisation, vigilants à ne pas être "récupérés" par des autorités locales qui, du simple fait de leur tolérance, prouveraient ainsi leurs actions en faveur des artistes,
et craintifs d'une expulsion qui leur ferait perdre leur lieu de travail, donc d'existence.
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septembre 2005
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