Parcours
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par Cyril Béghin
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P173 | |||||||
Comédie de l'innocence
collection Paris Île-de-France
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Est-ce d’avoir deux pays (le Chili et Paris) - et une seule vie - qui a donné à Raoul Ruiz le goût des histoires à tiroirs
et le don de les raconter ? Retour sur l’oeuvre de ce cinéaste joueur et cérébral, qui a souvent pris sa terre d’exil pour
décor, inscrivant dans un Paris mi-réel mi-rêvé les destinées de personnages aux multiples visages.
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Il est ainsi l’un des multiples exilés de l’intérieur qui parcourent la filmographie parisienne de Raoul Ruiz. Parmi eux,
l’enfant qui veut changer de mère dans Comédie de l’innocence (2000), et s’en trouve une nouvelle de l’autre côté de la ville ; les Parisiens réfugiés dans la chaleur des cafés du Temps retrouvé (1999) ; les insomniaques à la dérive le long de la Seine dans L’éveillé du pont de l’Alma (1985), et d’autres encore comme le projectionniste de La chouette aveugle (1987) qui, transporté comme par magie de son cinéma de Belleville en terre arabe, rêvant ce voyage depuis sa cabine, ne
cesse de se plaindre – "Je veux rentrer à Paris", alors qu’il ne l’a sans doute pas quittée.
Paris, lieu d’exil, devient-il une métaphore du pays quitté ? De nombreux spectateurs chiliens, par exemple, ont vu dans le
récit de Comédie de l’innocence une fable sur les enfants enlevés par la dictature de Pinochet, interprétation que Ruiz n’a jamais démentie. Mais les métaphores
se creusent de dérives supplémentaires qui ne permettent pas de les clore sur de simples équivalences. Au gré des rêves et
des rues qui s’escamotent ou s’échangent, Paris s’ouvre sur de nouveaux territoires dont on ne revient pas toujours. Si l’enfant
de Comédie de l’innocence retourne vers sa mère, le projectionniste de La chouette aveugle, malgré ses plaintes, ne retrouve pas Belleville : une faille l’a avalé, il s’est échappé, comme si l’ailleurs faisait réellement
partie de l’ici.
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Une faille, un trou, un monde dissimulé dans un recoin de la ville, tout comme, à l’inverse, pli dans le pli, le protagoniste
de Trois vies et une seule mort voit sous une table de sa cuisine apparaître "des touts petits Parisiens", de minuscules passants qui s’agitent en accéléré. Est-ce que, de la même façon, Paris pourrait être une miniature du Chili
pour le cinéaste exilé ? Certainement pas : Ruiz ne décrit ni des nostalgies individuelles régressives, ni des communautés
nationales refermées sur leurs images. Paris est bien "le lointain rêvé", l’accueil de toutes les images ou leur point de départ. Le toit de la baleine (1982), film censé se dérouler en Patagonie, a été tourné en Hollande. Les scènes chinoises des Trois couronnes du matelot (1983) ont été tournées à Paris, suivant la même logique bricoleuse qui doit faire de tout lieu nouveau une richesse absolue
de lieux à venir.
Toujours en 1983, Ruiz réalise La ville des pirates (dont le scénario et les décors ne font aucune allusion à Paris), juste après une mystérieuse commande intitulée La ville de Paris (1983), que nous n’avons malheureusement pas vue – mais la simple juxtaposition des titres dans la filmographie et leurs
franches assonances suffisent à les mettre en miroir. Paris serait aussi une "ville des pirates" selon au moins trois sens.
C’est l’idée développée par le court métrage Le jeu de l’oie (1980), dont le protagoniste, victime d’un "cauchemar didactique", est un pion dans un jeu de l’oie aux échelles variables, qui prend Paris comme plateau, puis la France, la Terre, l’univers...
Il parcourt d’abord la ville-labyrinthe qui ne raccorde plus qu’en ruelles étroites et cours d’immeubles, où il croise un
aveugle avec qui il évoque la possibilité de se repérer par des "cartes sonores" associant à certains parcours la continuité de mélodies célèbres. Puis il se retrouve soudain sur les toits de Saint-Sulpice,
avant de s’envoler pour d’autres visions du territoire. Sautant de case en case, ce pirate existentiel n’a fait que passer,
entraîné par son destin d’exil : "Le joueur doit se déplacer lui-même et se rendre, par des moyens convenables, aux différents lieux assignés par le sort".
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A la manière du salon qui s’expanse et se reconfigure à vue dans Trois vies et une seule mort, la ville est ainsi prise dans un rythme de compressions et dilatations qui la fait hésiter entre deux modèles bien exposés
dans le court métrage Les divisions de la nature (1978), essai documentaire sur Chambord où le château est successivement désigné comme miniature d’une ville labyrinthique
et, par des jeux de reflets dans un bassin, comme "château dans le ciel". Quoi qu’il en soit de ces deux modèles, ils soutiennent la même idée d’une "structure en archipel" et d’un "exil intérieur".
Le Paris de Ruiz n’est pas fonctionnel, rares sont les personnages qu’on y voit au travail - ils y passent plutôt pour trouver
l’ailleurs, quelque part entre les monuments qui s’y dressent comme des images d’Epinal. C’est là encore L’éveillé du pont de l’Alma qui réussit la mise en scène la plus limpide de ce principe de balade entre les clichés, avec sa tour Eiffel constamment
miniaturisée en fond de champ et qui semble posée sur une ligne d’horizon, à la fois familière et étrangère, comme les bibelots
sur les étagères de Trois vies et une seule mort ou de Généalogies d’un crime.
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de Raoul Ruiz
avec Isabelle Huppert et Jeanne Balibar
fiction, 2000, couleur, 1h42min
de Raoul Ruiz
avec Marcello Mastroianni
fiction, 1995, couleur, 2h03min
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"Raoul Ruiz", Dominique Bax et Cyril Béghin, in Théâtres au cinéma, n°14, Magic Cinema, 2003
Raoul Ruiz, Christine Buci-Gluksmann et Fabrice Revault d'Allones, Dis Voir, 1987
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Paris imaginaire | |||||||
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Paris latino | |||||||
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Le cinéma de Raoul Ruiz : www.lecinemaderaoulruiz.com Un site entièrement consacré à l'oeuvre cinématographique de Raoul Ruiz ainsi qu'à ses travaux théoriques. |
Cyril Béghin
Cyril Béghin est chercheur à l'Université Paris III et rédacteur dans diverses revues, notamment aux Cahiers du cinéma.
14 avril 2008
mise à jour 1 décembre 2008
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