Parcours
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par Michel Serceau
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P133 | |||||
Notre-Dame-de-Paris de Jean Delannoy
collection Paris Île-de-France
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Inspirés par l'oeuvre de Victor Hugo, de nombreux cinéastes ont immortalisé le parvis de la cathédrale Notre-Dame et la cour
des Miracles. A travers plusieurs adaptations de Notre-Dame-de-Paris et des Misérables, revenons sur ces lieux devenus aujourd'hui mythiques.
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Il n'existe aucun exemple de "sommaire" dans les adaptations de Notre-Dame-de-Paris. Il ne s'y trouve pas non plus de vue d'ensemble de la ville. Reconstitués en extérieur, ces films se focalisent sur la cathédrale,
son parvis et sa place d'une part, sur la cour des Miracles d'autre part. L'adaptation de Jean Delannoy étant la seule à montrer Montfaucon, et ce seulement dans l'ultime scène, le Paris filmique s'organise dramatiquement autour
de ces deux pôles. Ils sont les lieux de prédilection des personnages et des figurants parce qu'ils sont les lieux de l'action.
Mais ce sont surtout des espaces symboliques : les rues médiévales représentées, qui ne sont occupées par des figurants que
dans la première séquence (celle de la fête des fous), n'en sont que l'avant-texte.
On remarquera que deux seulement des maisons de cet ensemble de convention ont un intérieur : l'auberge où Frollo tue Phoebus
et la maison de la fiancée de ce dernier. Et les conventions sont là aussi fortes. Soin de la représentation, souci de pittoresque…
: qu'il s'agisse de beauté ou de laideur, de propreté ou de saleté, tout est fort poli. Ces deux intérieurs entrent dans le
système symbolique qui oppose la cour des Miracles à la cathédrale. Ils sont, entre ces deux pôles, des images intermédiaires.
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On ne relève guère qu'un exemple de "sommaire" dans les adaptations des Misérables, dans celle de Raymond Bernard (1934). Les décors représentant les rues de l'ancien quartier des Halles se combinent, dans la séquence de l'émeute, avec
une maquette de la ville qui donne à voir dans la nuit les silhouettes de la tour Saint-Jacques et de Notre-Dame.
Pas de vue d'ensemble non plus de la ville. Il est vrai que l'action des Misérables ne se déroule à Paris qu'à partir du moment où Jean Valjean vient s'y réfugier avec Cosette. Mais ils y ont, successivement
mais aussi simultanément, plusieurs domiciles, dans des quartiers différents. Entre le centre et les barrières, qui ont quant
à l'urbanité des connotations fort différentes, les lieux de vie des personnages et le cadre de l'action sont chaque fois
précisément situés, et la différence est grande entre quartiers d'immeubles et zones périphériques. Les spécificités sont
loin d'être toutes visibles dans les adaptations, qui réduisent et en même temps accroissent les écarts : les rues du centre
sont vides, les zones périphériques sont franchement villageoises.
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Manque de vraisemblance historique donc. Il n'en est pas besoin, dira-t-on, pour que le spectateur ait l'illusion que les
personnages habitent Paris. Passe donc que l'on ne montre jamais les monuments, et jamais par exemple la place de la Bastille
où Gavroche a son havre. Mais ce n'est pas seulement la place qui est absente, c'est l'éléphant où il loge (dans ces adaptations
françaises ; en 1937, l'adaptation soviétique de Tatiana Loukachevitch l'a, elle, représenté), alors que c'est un élément
du Paris imaginaire construit par Hugo et diffusé par son roman.
Gavroche, que l'on ne voit pour ainsi dire pas avant l'émeute, n'habite au total guère Paris ; il en est un symbole abstrait.
En lui attribuant une niche dans le mur de la maison où habitent ses parents, Raymond Bernard donne même franchement dans
le contresens. Gavroche, sur lequel a au contraire été focalisée en 1937 l'adaptation soviétique, est au total peu représenté
dans les adaptations françaises d'avant 1945. Henri Fescourt est le seul à lui consacrer, avant le récit de l'émeute, et donc
de sa mort, une séquence : on le voit dans le jardin du Luxembourg, puis dans la rue, où il rencontre les deux gosses et vole
pour eux à la devanture de la boulangerie.
Des adaptations hybrides où les lieux ne sont guère plus imaginaires qu'historiques : s'il n'y a pas de références historiques,
il y a un parti pris de réalisme, voire de vérisme. Rien de surprenant : le cinéma des années 1910 et des années 1920 était,
toutes proportions gardées, plus réaliste que le cinéma des années 1930, où s'est systématisé l'usage des studios (les studios
obscurs ont commencé à fonctionner en France au début des années 1920). On peut parler même d'un souci documentaire. On ne
mixait pas dans les mêmes scènes et dans les mêmes plans, comme on le fait aujourd'hui, lieux réels et décors (citons comme
exemple la dernière version du Bossu, réalisée par Philippe de Broca). Peu de moyen terme dans l'alternative extérieurs/intérieurs : les seconds étaient beaucoup
plus tournés en studio. Pas de moyen terme dans l'alternative lieux réels/décors : ou bien un décor de studio, ou bien un
lieu réel.
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Toutes entières tournées en studio, les adaptations de Notre-Dame-de-Paris ne sont pas marquées par ce système et cette dualité. Les adaptations des Misérables le sont. On y relève un nombre non négligeable d'extérieurs réels, qui, curieusement, font plus effet de vraisemblance lorsqu'il
s'agit du bagne, de Digne, de Montreuil, de Montfermeil, que lorsqu'il s'agit de Paris, surtout dans les versions d'Albert
Capellani (1912) et d'Henri Fescourt (1925). La seconde a connu au cours de sa réalisation une distorsion. Henri Fescourt
avait prévu de tourner les scènes de l'émeute sur d'authentiques places et dans d'authentiques rues de Paris. C'est la "carence subite", au cours du quatrième mois de tournage, d'un des associés de la production qui a entraîné la reconstitution de ces places
et rues en studio : il s'agissait d'éviter les frais de déplacement d'une foule de figurants et la paralysie du travail qu'aurait
pu entraîner le mauvais temps.
Une distribution, de toute façon, s'opère. Il est fait largement ellipse sur les déplacements des personnages dans Paris,
sauf lorsqu'il s'agit de séquences ou de scènes d'action (l'émeute de juin bien sûr, mais aussi la filature de Jean Valjean
et Cosette par Javert jusqu'au quartier de Picpus). Chez Fescourt, on voit plus Fantine dans les rues de Montreuil qu'Eponine
et Gavroche dans les rues de Paris. On ne voit ni les commerces ni l'activité de Paris. Les rues et les barrières sont en
règle générale vides. Sauf bien sûr, pour les rues, le jour de l'émeute. Sauf, pour les barrières, lorsque part (dans le film
de Raymond Bernard) un convoi de forçats. Mais on notera ici un déplacement de sens par rapport au roman : Jean Valjean était
seul ; il y a une foule (que les soldats repoussent). Cet exemple est significatif : on sait très bien mettre dans la rue
une foule de figurants… si l'on veut créer un effet de sens.
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Bien qu'un nombre non négligeable de scènes soient tournées en extérieur, les intérieurs parisiens ont plus de prégnance dramatique
que les extérieurs. Les personnages les habitent bien plus qu'ils n'habitent un Paris qui reste un cadre quelque peu abstrait.
A ceci près que ces intérieurs entrent, de par les choix esthétiques des cinéastes, dans des catégories génériques. Ils correspondent
à des types ; intérieurs et personnages se correspondent et s'emboîtent dans une représentation qui relève plus d'une symbolique
littéraire que d'un imaginaire.
En dépit de leur indéniable souci de réalisme, les adaptations des Misérables ne contredisent donc pas les adaptations de Notre-Dame-de-Paris. Plus symbolique que réaliste, le Paris de Victor Hugo, à travers ces films, est un contexte emblématique plus qu'un lieu
de vie. Il est pour les spectateurs un cadre pragmatique plus qu'un espace imaginaire.
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Les misérables
de Richard Boleslawski
1935, 1h49min
Gavroche
de Tatiana Loukachevitch
1937, 76min
Les misérables
de Kamal Selim
1944, 120min
L'évadé du bagne
de Riccardo Freda
1947, 140min
Les misérables
de Marcel Bluwal
1972, feuilleton télévisé tourné en deux parties
Funérailles nationales de Victor Hugo, série L'Illustration
de H. de Turenne et J.-N. Delamarre
1988, 2min7s
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L'adaptation cinématographique des textes littéraires. Théories et lectures, Michel Serceau, CEFAL, 1999
L'adaptation, du roman au film, Alain Garcia, I.F. Diffusion, 1990
Ecrivains et cinéma, Jeanne-Marie Clerc, Presses universitaires de Metz, 1985
Littérature et cinéma, Jeanne-Marie Clerc, Nathan, 1993
Récit écrit, récit filmique, Francis Vanoye, CEDIC, rééd. Nathan, 1979
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Paris est un roman | |||||||
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Paris au coeur de l'histoire | |||||||
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Présence de la littérature (SCEREN-CNDP) : http://www.presence-litterature.cndp.fr/hugo_berlioz/hugo.php Un site destiné aux enseignants, élèves et étudiants, donnant accès notamment à des textes inédits sur la vie et l'oeuvre
de Victor Hugo.
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Victor Hugo, l'homme océan (BNF) : http://expositions.bnf.fr/hugo/expo.htm Un dossier thématique très complet autour de l'exposition Victor Hugo, l'homme océan.
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Michel Serceau
Michel Serceau a enseigné le cinéma aux universités Paris VII et Paris X. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont L'adaptation cinématographique des textes littéraires.
septembre 2002
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