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Île de France

Mairie de Paris

 

Parcours
La Révolution française
par Sylvie Dallet
P107
La Marseillaise de Jean Renoir
collection Paris Île-de-France
De la patriotique Marseillaise de Jean Renoir à l'aristocratique L'Anglaise et le duc d'Eric Rohmer, les dix années de la Révolution française ont régulièrement été portées à l'écran. Sylvie Dallet, spécialiste du film historique révolutionnaire, analyse l'imaginaire de la capitale à travers ces films.


"Révolutionnaires", "réactionnaires", "libéraux", ces mots, popularisés grâce à la Révolution française, ont suivi, depuis lors, le chemin florissant que les penseurs et les peuples leur ont tracé. "Droits de l'homme", "Bastille", "Terreur", "sans-culottes" font également partie d'un vocabulaire universel, directement lié aux événements de 1789 et 1793, les dates fortes de la période révolutionnaire. Après le bouche à oreille et la mémoire littéraire, le cinéma, puis la télévision, ont participé de l'Histoire fondatrice. Dès 1897, le cinéma s'empare en noir et blanc de ces mots transcrits en images, animant les idées-force de la légende dans les récits entrecroisés du passé.

Si Versailles m'était conté de Sacha Guitry
Que montrer ? Que dire ? Que recréer ? Chaque cinéaste s'est senti historien en évoquant le Paris de la Révolution. Mettre en scène le plus grand mythe français, cette construction invisible qui concerne tour à tour la Nation et l'Etat, semble cependant une tâche démesurée tant elle implique la collectivité. Un des réalisateurs français les plus exhibitionnistes, Sacha Guitry, ne s'y est pas trompé quand il donne pour titre Si Paris nous était conté à son film de 1955, après avoir réalisé un Si Versailles m'était conté en 1953. Pour dépeindre les "journées parisiennes", le "nous" se substitue au "je" royal.

Marquis de Henri Xhonneux
Dans cette révérence ou cette contestation du passé, pour chaque figure portée à l'écran perdure une interprétation capitale de l'époque, de Robespierre à Danton, de Marie-Antoinette à la tricoteuse Therèse Deffarge, héroïne du Conte des deux villes, imaginée par Dickens au XIXe siècle puis régulièrement reprise à l'écran par les Britanniques et les Américains. Dans cette entreprise de reconstruction et de mesure de l'Histoire, la ville apparaît changeante, insaisissable et multiforme : la rue anonyme dispute sa prééminence au cachot ou aux clubs de pensée. Rares sont les réalisateurs qui ne s'emparent pas, pour dévider le récit de Paris, d'un morceau de monument, Bastille pour les uns (Marquis, Henri Xhonneux, 1989), Assemblée nationale (La nuit miraculeuse, Ariane Mnouchkine, 1989) ou Tuileries (La Marseillaise, Jean Renoir, 1937) pour les autres.

Héros et figurines
En 1937, Renoir renonçait à camper un "magnifique menuisier du faubourg Saint-Antoine", sous les traits de Jean Gabin, pour suivre l'odyssée des volontaires montés de Marseille, Bomier le maçon et Arnaud le commis aux douanes. Par contre, les cinéastes anglo-britanniques n'hésitaient pas à immortaliser la fiction de Dickens, Le conte des deux villes, au travers des figures des tricoteuses et des "Jacques", ces descendants typés des jacqueries du Moyen Age. Entre la petite ouvrière guillotinée par hasard durant la Terreur et l'enfant Bara, héros de la République, les images s'entrechoquent pour traduire des interprétations conflictuelles, vivaces depuis plus de deux cent ans.

La nuit miraculeuse d'Ariane Mnouchkine
Dans la perspective du combat pour la mémoire, les personnages deviennent des symboles politiques, tour à tour figures de la Raison ou emblèmes de la violence. Si Montreuil accueille l'unique station de métro Robespierre, le tribun de la Convention reste le héros le plus représenté à l'écran : une quarantaine d'évocations cinématographiques, à l'équivalence de la personne que le cinéma a choisi de lui opposer, la reine Marie-Antoinette. Cette victoire de l'image reste ambiguë, dans la mesure où l'homme d'Etat apparaît rarement représenté comme un héros, à l'inverse de son homologue Danton, et demeure, dans tous les cas, bien inférieur au grand gagnant de la période, Napoléon Bonaparte, figure transfuge de la Terreur et des armées républicaines. Il faudra attendre le regard de la télévision (La caméra explore le temps) pour que deux fictions historiennes soient consacrées au travail de la Convention, dans sa fatigue, son inconfort, ses doutes et sa grandeur paroxystique (La terreur et la vertu, Stellio Lorenzi, 1966). Ariane Mnouchkine transformera enfin, pour le bicentenaire, les ombres de l'Assemblée nationale en autant de touchantes poupées.


L'espace révolutionnaire
Bonaparte de Jean Vidal
Paris des rues, Paris des places, Paris des palais et des maisons cossues. Le peuple en colère fait irruption dans des espaces réservés de la monarchie, dans son intimité comme dans ses lieux de parade. La Révolution ne s'est pas entièrement déroulée à Paris, tant s'en faut : si plusieurs films d'archives, tels ceux de Jean Chérasse, évoquent la province, la banlieue révolutionnaire reste un lieu inexploré au cinéma.

Le succès du film d'Eric Rohmer L'Anglaise et le duc (2001) a donné doublement à réfléchir, par son habileté réelle et, d'une certaine façon, son honnêteté intellectuelle. Le décor transformable, "à la manière de", y est valorisé sur les vestiges monumentaux. Cet aller retour entre les images de synthèses du futur et les toiles peintes du passé a été accompagné d'interviews remarquables et d'un film documentaire qui en explique les techniques sinon les enjeux (A propos du film d'Eric Rohmer, Françoise Echegaray, 2000). Par ailleurs, Rohmer suit très explicitement le canevas d'un journal intime, introduisant, de fait, la partialité de la perception comme un des éléments du témoignage historique. Les panoramas de lieux apparaissent alors comme autant de flash-backs où l'intimité du quotidien filtre et fait le tri des événements extérieurs.

Quand on observe les parcours révolutionnaires sur la capitale, parcours de conviction, de fuite ou d'accident, on est frappé par l'omniprésence de la rue et des prisons sur les lieux d'expression publique, maisons, clubs et Assemblée nationale. Seuls Gance et Renoir, avant la Seconde Guerre mondiale, restent attentifs aux lieux de discours qui réunissent des groupes de parole au contraire des habituelles scènes de rue hirsutes (ou décapitantes) tournées par les cinéastes hostiles à la Révolution. Le panorama des lieux offre alors un saisissant contraste entre la paix des prisons (sic) et le vacarme de la rue. Dans ce tumulte, une halte satisfait les Anglo-américains : la prise de la Bastille, symbole inquiétant d'un despotisme français, archaïque et constant depuis le Moyen Age. Là encore, la télévision française des années 1950 introduira des lieux nouveaux pour une compréhension qui se rapproche de l'enseignement dispensé dans les écoles de la République.

Dans le monde, une quinzaine de fictions cinématographiques sur trois cents œuvres met en scène la prise de la Bastille contre quelque vingt-cinq prises des Tuileries. Ces fictions, principalement conçues au début du siècle, se raréfient pour céder la place, à partir des années 1930, aux scènes d'emprisonnement du Temple ou des divers lieux d'attente avant la guillotine. Le film de la Révolution resserre son cadre sur l'intimité des familles chuchotantes devant la brutalité silencieuse ou aboyée des représentants de la Convention… La caméra tourne alors autour des personnages du drame (Marie-Antoinette et ses enfants par exemple), sollicitant l'apitoiement du spectateur.

A l'inverse, des réalisateurs-historiens, tel Jean Vidal, ont choisi, grâce encore à la télévision, de lier un bout à bout d'images d'archives à travers une voix off qui fait la synthèse des principaux événements d'époque. Le parti pris est ici lié à l'histoire événementielle, politique et parisienne, au déroulé sobre des gravures de la Révolution ou de l'Ancien Régime.


Penser la Révolution
La Marseillaise de Jean Renoir
La Révolution se découvre dans ses écrits et se déchiffre sur ses empreintes séculaires : mesures, frontons des mairies, écoles nouvelles, autant de traces que les films de fiction abordent peu, au contraire des émissions commémoratives télévisuelles. Jusque dans les années 1950, le symbolisme collectif se construit prioritairement au travers des formes et des contours épurés par l'éclairage : le drapeau, la cocarde, le pourpoint, le bonnet, tous ces tissus rouges apparaissent uniformément grisés au travers des films mémoires tels le Napoléon (1925) d'Abel Gance et La Marseillaise (1937) de Jean Renoir. Sacha Guitry inaugure la couleur à l'écran sous la forme pimpante du chromo bien pensant.

Pourtant, malgré les efforts des historiens du bicentenaire, penser la Révolution reste une gageure au cinéma : le récit ne se bâtit pas seulement de mots mais de lumières, d'angles de prises de vues, de séquences tronquées, de plans comme guillotinés à l'avance. Comment évaluer, dans la démonstration du Danton (1982) de Wajda, le poids de la tonalité générale bleu-vert, obscurcie et sale dans les moments les plus durs ? Comment ne pas ressentir les couleurs dorées et chaudes choisies par Ariane Mnouchkine pour les deux films qu'elle consacre aux avancées révolutionnaires ? Comment porter à l'écran la densité événementielle de dix années de flux contradictoires et présenter en même temps les éléments fondateurs du mythe national ? La Révolution française offre un chatoiement d'images contradictoires, fortes et sensibles : les souvenirs tournoyants des peintres et des romanciers du XIXe siècle, cadrés par des cinéastes du XXe.


Filmographie sélective
Cette filmographie reprend l'ensemble des films cités dans ce parcours thématique évoquant la capitale, ainsi que d'autres films complémentaires sur le même sujet.


Reconstitutions historiques
de Jean Renoir
fiction, 1937, noir et blanc, 2h06min
de Sacha Guitry
fiction, 1953, couleur, 2h48min
de Sacha Guitry
fiction, 1955, couleur, 2h05min
de Jean Delannoy
avec Michèle Morgan
fiction, 1956, noir et blanc, 2h
de Ralph Thomas
avec Dirk Bogarde
fiction, 1958, noir et blanc, 1h57min
La Terreur et la vertu, série La Caméra explore le temps
de Stellio Lorenzi
avec Jean Negroni
fiction, 1965, noir et blanc, 3h43min
de Andrzej Wajda
fiction, 1982, couleur, 2h16min
de Jean Yanne
avec Jean Yanne
fiction, 1984, couleur, 1h49min
de Henri Xhonneux
fiction, 1989, couleur, 1h19min
de Ariane Mnouchkine
fiction, 1989, couleur, 2h17min
de Grégoire Oestermann
fiction, 1991, couleur, 11min
de Eric Rohmer
avec Lucy Russell
fiction, 2001, couleur, 2h08min
de Sofia Coppola
avec Kirsten Dunst
fiction, 2005, couleur, 2h03min
Documentaires sur la Révolution
La citoyenne Villirouet, série La caméra explore le temps
de Guy Lessertisseur
documentaire, 1959, noir et blanc, 1h10min
de Jean Vidal
documentaire, 1960, noir et blanc, 21min
de Jean Vidal
documentaire, 1964, noir et blanc, 28min
de Jean Vidal
documentaire, 1965, noir et blanc, 24min
de Jean Vidal
documentaire, 1965, noir et blanc, 24min
La Bastille, série Histoires de Paris
de Jack Sanger
documentaire, 1966, noir et blanc, 14min
Valmy, série Présence du passé
de Jean Chérasse et Abel Gance
documentaire, 1967, noir et blanc, 2h29min
Making-of
de Ariane Mnouchkine
documentaire, 1974, couleur, 2h26min
de Françoise Echegaray
documentaire, 2000, couleur, 42min
Bibliographie
Philosophie de la Révolution française, Bernard Groethuysen, Gallimard, 1956
La Révolution française, mythes et interprétations (1789-1970), Alice Gérard, Flammarion, 1970
1789, cahiers de doléances des femmes et autres textes, Paule Marie Duhet (préface), Des femmes, 1981
L'Etat de la France pendant la Révolution (1789-1799), Michel Vovelle (dir.), Editions de la Découverte, 1988
La Révolution française au cinéma (des Lumière à la télévision), Sylvie Dallet, Lherminier/Editions des quatre vents, 1988
Les écrans de la Révolution, Christian Marc Bosseno (coord.), Vertigo, 1989
Filmographie mondiale de la Révolution française, Sylvie Dallet et Francis Gendron (avant-propos de Franz Schmitt et préface de Raymond Chirat), CAC de Montreuil/Lherminier/Editions des quatre vents, 1989
Une nation pour mémoire (1889, 1939, 1989, trois jubilés révolutionnaires), Pascal Ory, Presses de la fondation des sciences politiques, 1992
Adieu 89, Steven Kaplan, Fayard, 1994
L'écran citoyen. La Révolution française vue par la télévision de 1950 au bicentenaire, Maryline Crivello-Boca, L'Harmattan, 1998
En écho
Sur le site du Forum des images
Paris au coeur de l'histoire

 

Sylvie Dallet
Historienne de la culture et des idées (Institut Charles Cros), Sylvie Dallet a publié plusieurs livres spécialisés, dont La Révolution française à travers le cinéma (de Lumière à télévision) et Filmographie mondiale de la Révolution française primés par le Comité du bicentenaire.
janvier 2005

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