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Mairie de Paris

 

Parcours
Jazz in Paris
par Thierry Jousse
P86
de Louis Malle
collection Paris Île-de-France
D'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle à Autour de minuit de Bertrand Tavernier, retour sur un demi-siècle de cinéma fortement marqué par le jazz.


Le jazz à Paris
Une histoire du jazz français de J.-C. Averty
La série d'albums réédités récemment sous l'intitulé Jazz in Paris aura permis de s'apercevoir à quel point notre capitale fut une ville cruciale pour l'évolution du jazz depuis l'immédiat après-guerre jusqu'à la fin des années 1970.

Cette histoire, riche en héros et en péripéties, est à la fois célèbre et méconnue. Elle mêle la diaspora des musiciens américains réfugiés à Paris, ou de passage en France, à la cohorte des musiciens français de ces époques qui, tels Martial Solal, Barney Wilen, Maurice Vander, Jean-François Jenny Clark, René Urtreger, Jacques Thollot, Michel Portal, Bernard Lubat et bien d'autres, firent les beaux jours du jazz parisien, sans oublier quelques musiciens européens, italiens, belges, voire anglais, venus en voisins. Ces musiciens français qui furent, tantôt leaders, tantôt sidemen, et qui apprirent beaucoup de la fréquentation des Sidney Bechet, Kenny Clarke, Bud Powell, Lester Young, Dexter Gordon, Chet Baker, Art Blakey et d'autres.

Cette histoire musicale passe assurément par le cinéma, voire plus généralement par l'image, et se poursuit encore aujourd'hui sous d'autres formes. Vers la seconde moitié des années 1950, sous l'impulsion d'un personnage-clé, Marcel Romano, d'abord programmateur au Club Saint-Germain (6e), propulsé organisateur de séances et producteur, une série de bandes originales enregistrées pour des films français furent produites à Paris. C'est l'époque où le jazz est la musique moderne par excellence, voire à la mode, et où il représente une puissance de changement, une nouvelle voie, un nouveau son, une nouvelle image, une nouvelle vague en quelque sorte.


Ascenseur pour l'échafaud
Ascenseur pour l'échafaud
Le film emblématique de cette époque est évidemment Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle avec cette session mythique bouclée en une nuit dans laquelle Miles Davis, entouré de Kenny Clarke, Barney Wilen, René Urtreger et Pierre Michelot, grave une immortelle musique climatique sur les errances nocturnes de Jeanne Moreau et Maurice Ronet sur les Champs-Élysées. Les circonstances fantasmatiques de cet enregistrement méritent d'être rappelées succinctement. Tandis que Miles Davis est en tournée en Europe, Louis Malle contacte le trompettiste, par l'intermédiaire de Marcel Romano, pour lui proposer une collaboration. Miles accepte à condition de pouvoir travailler sur les thèmes et les grilles dans son hôtel où il possède un piano.

A partir de là, les musiciens, dans des conditions équivalentes à celles du cinéma muet, improviseront littéralement devant les images. Le noir et blanc du chef-opérateur Henri Decae et l'atmosphère nocturne du film seront éternellement associées à la musique, à la fois tragique et ouatée, du quintette de Miles Davis. Louis Malle, parfaitement conscient de l'impact de la musique sur son film, déclarera plus tard : "La musique a contribué au succès du film. Elle lui a donné son ton, son atmosphère, et quand je dis atmosphère, c'est au sens noble du terme. Dans le film, il y a une espèce de ton général, une espèce d'ambiance que la musique de Miles maintient d'un bout à l'autre et qui lui donne son unité." (Jean-Louis Ginibre, 30 ans de cinéma (6) : ascenseur et grand couteau, Jazz magazine, n°70, mai 1961, p. 35)

Cette réussite incontestable servira de détonateur et de modèle pour un certain nombre de cinéastes de l'époque, tels Edouard Molinaro qui demande à Art Blakey et ses Jazz Messengers de composer la musique de Des femmes disparaissent ou à Barney Wilen, entouré notamment du trompettiste Kenny Dorham et du fidèle Kenny Clarke, de graver la bande originale d'Un témoin dans la ville, ou Roger Vadim qui engage le Modern jazz quartet pour son second film, Sait-on jamais, et qui pour ses Liaisons dangereuses, relecture modernisée du roman de Laclos, fait appel à Thelonious Monk et à nouveau à Art Blakey et ses Jazz Messengers que l'on voit d'ailleurs à l'écran dans une séquence de fête. Au tournant des années 1950-60, le jazz est à la mode : il est un gage de jeunesse sur fond de fascination pour l'Amérique, mais il produit aussi des musiques qui, plus de quarante ans plus tard, ont parfois moins vieilli que les images qu'elles accompagnent.


Autour de Melville
Le cercle rouge
L'autre personnage influent du cinéma français de cette époque est certainement Jean-Pierre Melville. Avec Bob le flambeur, Melville invente un nouveau style de film noir français, qui annonce la Nouvelle Vague, et qui, sans que la musique soit directement improvisée ou rythmée, s'apparente au climat du jazz. Pour son film suivant, Deux hommes dans Manhattan, sa seule et unique incursion américaine, il fait appel à Christian Chevallier et Martial Solal, deux musiciens français très liés au jazz, pour composer la bande originale d'une œuvre fiévreuse et nocturne qui installe définitivement son style. Pour Deux hommes dans Manhattan, Melville ne se contente d'ailleurs pas du simple accompagnement musical, il fait du jazz une présence concrète et charnelle, à travers des scènes dans les studios Capitol ou dans des boîtes où se produisent quelques orchestres.

Dans pratiquement tous les films qu'il réalisera ensuite, tout au long des années 1960, le jazz et les scènes de boîte de nuit seront comme une marque de fabrique, liant cette musique, la plupart du temps écrite par des compositeurs français importants comme Paul Misraki (Le doulos), François de Roubaix (Le samouraï) ou Éric Demarsan (Le cercle rouge), au film noir à la française tel que Melville l'a emblématisé. C'est d'ailleurs Melville qui jouera le rôle d'intermédiaire auprès de Godard et qui lui conseillera de faire appel à Martial Solal pour la musique d'A bout de souffle. La rencontre est ici d'importance. Même si Solal confesse, bien des années plus tard, que Godard avait sans doute très peu d'affinités personnelles avec le jazz, force est de reconnaître que la conjonction image-musique est ici particulièrement symbiotique. L'art de la syncope, une certaine forme d'improvisation, le naturel du style et des comédiens, le caractère instantané et imprévisible d'A bout de souffle est en parfaite adéquation avec la partition rythmique, poétique, haletante de Martial Solal.


Après les années 1960
Autour de minuit
Au fil des décennies 1960-70, voire 1980, l'histoire du jazz à Paris se poursuit bien évidemment, mais elle passe moins directement par le cinéma et même l'image. La diaspora des ténors du free jazz - Don Cherry, Archie Shepp, Steve Lacy, The art ensemble of Chicago, Sunny Murray… -, qui passèrent tous par Paris à un moment ou à un autre ou parfois même s'y installèrent, y enregistrèrent des albums décisifs, notamment sur le label BYG-Actuel, mais n'y furent pratiquement pas filmés. Toute l'activité déployée autour de l'American Center de Paris à partir des années 1960 aurait mérité davantage d'images et de vrais documents saisis sur le vif. Il faudra attendre les années 1980 et le succès du Festival de jazz de Paris pour retrouver portraits et concerts filmés, notamment sous la caméra de Frank Cassenti qui, en parallèle à une carrière de cinéaste de fiction, devient, à cette époque, une sorte de reporter permanent des multiples concerts parisiens et reprend ainsi le flambeau prestigieux de Jean-Christophe Averty qui, deux décennies auparavant, filma nombre de jazzmen français et américains pour l'O.R.T.F.

Les années 1980 marquent aussi un léger revival du jazz au cinéma mais sur un mode plus nostalgique. C'est évidemment le film de Bertrand Tavernier, Autour de minuit, qui est le moment fort de cette vague rétro. Inspiré par la fin de la vie de Bud Powell à Paris, Tavernier met en scène le saxophoniste Dexter Gordon, comme une figure emblématique de musicien exilé, face à Francis (François Cluzet) inspiré par Francis Paudras qui fut l'ami de Bud Powell et le filma dans son quotidien comme en témoigne son montage d'archives, La danse des infidèles. Avec Autour de minuit, Tavernier rend un bel hommage à cette geste des musiciens américains réfugiés à Paris, ville d'accueil et de musique, et clôt provisoirement cette histoire à laquelle on peut aussi associer le retour de Martial Solal avec Les acteurs de Bertrand Blier, ainsi que le beau court métrage de Bertrand Fèvre, Chet's romance, où la figure de Chet Baker est, une ultime fois, magnifiée par un noir et blanc mythologique…


Filmographie sélective
Cette filmographie reprend l'ensemble des films cités dans ce parcours thématique évoquant la capitale, ainsi que d'autres films complémentaires sur le même sujet.


de Jean-Luc Godard
fiction, 1959, noir et blanc, 1h26min
de Louis Malle
avec M. Ronet et J. Moreau
fiction, 1957, noir et blanc, 1h27min
de Bertrand Tavernier
avec Dexter Gordon
fiction, 1986, couleur, 2h05min
de Jean-Pierre Melville
fiction, 1956, noir et blanc, 1h38min
de Jean-Pierre Melville
avec Alain Delon
fiction, 1970, couleur, 2h14min
de Bertrand Fèvre
variétés, 1988, noir et blanc, 9min
de Jean-Pierre Melville
avec Jean-Paul Belmondo
fiction, 1962, noir et blanc, 1h44min
de Maurice Pialat
fiction, 1962, noir et blanc, 17min
de Roger Vadim
avec Gérard Philipe
fiction, 1959, noir et blanc, 1h44min
de Jean-Pierre Melville
avec Alain Delon
fiction, 1967, couleur, 1h40min
Sait-on jamais
de Roger Vadim
fiction, 1957, couleur, 1h36min
Un extrait de ce film fait partie du documentaire de Jean Boyer Horizons nouveaux, sur les rapports qu'entretiennent jazz et cinéma.
de Edouard Molinaro
fiction, 1959, noir et blanc, 1h30min
Bibliographie
Jazz et cinéma, Gilles Mouellic, Cahiers du cinéma, 2000
Discographie
A côté de la collection Jazz in Paris (Universal), qui propose plus de cent références retraçant "l'histoire du jazz au fil de la Seine", voici quelques titres incontournables.



Des femmes disparaissent, Art Blakey, Fontana, 1958
Ascenseur pour l'échafaud, Miles Davis, Fontana, 1957
A bout de souffle, Martial Solal, Emarcy/Universal, 1959
Un témoin dans la ville, Barney Wilen, Fontana, 1958
En écho
Sur le site du Forum des images
Le Paris de Jean-Pierre Melville, par Franck Garbarz

 

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Thierry Jousse
Thierry Jousse appartient au comité de rédaction des Cahiers du cinéma. Il est notamment l'auteur de Pendant les travaux, le cinéma continue : les années 90 et après (2003), de John Cassavetes (2001) et a participé à l'édition de Jazz et cinéma (2000) de Gilles Mouellic.
avril 2003

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