Parcours
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par René Prédal
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P83 | |||||
La femme de Jean de Yannick Bellon
collection Paris Île-de-France
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De nombreux documentaires et fictions se déroulent dans le quartier des Halles. Entre songe et réalité, sur les terrasses
des cafés ou autour des contructions de Baltard, retour en images sur ce coeur géographique de la capitale dont la physiononomie
a tout particulièrement évolué en un siècle.
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Lieux parmi les plus pittoresques de Paris, les Halles et leurs abords immédiats ont souvent servi de cadre à des scènes de
genre, et cela depuis les origines du cinéma où l'on se contentait de figurer le décor sur quelque toile peinte sans aller
tourner en extérieurs des séries comiques enregistrées très rapidement (Bébé marchant de quatre saisons de Louis Feuillade, 1911 ; Jobart portefaix par amour d'Émile Cohl, 1911 ; Onésime marchand de moutons de Jean Durand, 1914…). Les "romans populaires" à l'émotion facile des années 1920 fournissent aussi des bandes comme L'enfant des Halles (1924) de René Leprince ou Petit moineau de Paris (1923) de Gaston Rodès. Le drame mondain Serge Panine (1938) de Charles Méré et Paul Schiller situe de même quelques séquences près du carreau.
Si le roman d'Émile Zola n'a jamais tenté aucun cinéaste, les Halles du Moyen Age et des Temps Modernes jouxtant la sinistre
place de Grève ont parfois été reconstituées dans des films historiques : La bouquetière des Innocents (1922) de Jacques Robert s'y passe sous Henri IV et La fille de Madame Angot (1935) de Jean Bernard-Derosne évoque en studio les Halles du Directoire. Quant à l'église Saint-Eustache toute proche, elle
constitue le théâtre d'un épisode du Jour et l'heure (1962) de René Clément qui donne une bonne description de la fin de l'Occupation allemande en 1944.
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L'édification sous Napoléon III des constructions de Baltard a donné au quartier sa physionomie pour un peu plus d'un siècle. On les voit au petit matin dans Le signe du lion (1959) d'Eric Rohmer parcourues par un héros bohème qui se clochardise peu à peu dans le Paris désert de juillet. Mais ce
sont plus souvent les cafés du quartier, les boutiques (l' "Angle du hasard" dans Out 1 : spectre de Jacques Rivette, 1974) ou un hôtel de passe de la rue des Innocents (L'armoire volante de Carlo Rim, avec Fernandel, 1948) qui sont préférés par les réalisateurs.
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Hollywood privilégie les côtés spectaculaires, qu'il s'agisse de la brillante comédie Charade de Stanley Donen (avec Audrey Hepburn, 1963) enregistrée en décors naturels ou du "musical" culotté que tire Billy Wilder de la pièce plaisante d'Alexandre Breffort et Marguerite Monnod Irma la douce, la même année 1963. En technicolor et panavision, la rue Saint-Denis où évoluent péripatéticiennes et souteneurs - duo très
drôle formé par Shirley Mac Laine et Jack Lemmon - constitue le plus beau décor d'Alexandre Trauner édifié sur les plateaux d'Hollywood. Le Paris rêvé par l'Amérique est mis en musique par André Previn dans des reliefs et
des perspectives jubilatoires et une composition virtuose des volumes comme des couleurs, des accessoires et du mouvement.
Jamais les Halles n'ont été aussi splendides que dans ce sommet de l' "entertainment".
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Mais en 1969, les Halles sont transférées à Rungis, démolition, creusement puis construction du Forum bouleversant l'endroit
pour une bonne décennie. Le chantier est visible dans La femme de Jean (1974) de Yannick Bellon. Le visionnaire pamphlétaire Marco Ferreri en profite également pour filmer dans ce trou l'histoire
de la défaite à Little Big Horn du général Custer (Marcello Mastroianni) face aux Indiens (Michel Piccoli, Alain Cuny et Serge
Reggiani) ! Farce grotesque, Touche pas la femme blanche (1973) oppose le temps à l'histoire, le réel du décor à la fiction du récit et articule cinématographiquement mythes de l'Ouest,
clichés hollywoodiens et prodigieux documents sur un des chantiers les plus monstrueux du siècle.
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Le charme acide de Rosa la rose, fille publique (1985) de Paul Vecchiali naît de l'insertion provocante, dans le clinquant moderniste du tout récent complexe, d'un mélodrame
d'hier avec putes au grand cœur, macs, mauvais garçons et mort à l'aube après que la passion ait ravagé les cœurs. Amoureux
du cinéma français d'avant la Nouvelle Vague et de la tradition populiste des années 1930-1950, le cinéaste filme donc un
destin anachronique tout droit issu du réalisme poétique, mais dans la clarté d'une photo lumineuse d'esthétique publicitaire.
Le long des rues Saint-Martin et Saint-Denis, le romanesque se mue en nostalgie intellectuelle et pas un instant le spectateur
ne peut croire à cette vision conventionnelle qui n'est plus qu'une vue de l'esprit à l'époque du Sida. Indiscutablement l'inspiration
vient d'autres films en contradiction avec le réel des années 1980.
N'empêche que la prostitution existe toujours, filmée de façon très personnelle par Guy Gilles (Le crime d'amour, 1981) ou Walerian Borowczyk (La marge, 1976). Les clichés et la légende sont donc tenaces et L'homme fragile (1981) de Claire Clouzot entretient même l'atmosphère et l'esprit ouvrier du passé dans une histoire d'amour entre deux être
blessés sur fond de travail de nuit dans une imprimerie en pleine modernisation.
L'idée d'errance nocturne héritée de l'époque où la lourde silhouette des bâtiments du XIXe siècle pesait sur le quartier
s'est aussi adaptée à toutes les catégories actuelles de marginalité : liberté sexuelle d'une jeunesse bourgeoise dans les
boîtes à la mode (La nuit porte-jarretelles de Virginie Thévenet, 1984), exclus et paumés (Louise (take 2) de Siegfried, 1998), fous ou désespérés (Les clowns de Dieu de Jean Schmidt, 1986) se croisent, entre autres rendez-vous au cœur de la nuit, aux abords des Halles où Hugo Santiago rassemble
aussi ses exilés d'Amérique Latine bercés par les mélodies du bandonéon (dans le cabaret Les trottoirs de Buenos Aires et le café Les bouchons des Trottoirs de Saturne, 1985).
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Irma la douce
de Billy Wilder
1963, 2h22min
de Marco Ferreri
avec Catherine Deneuve
fiction, 1973, couleur, 1h48min
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A la découverte du 1er arrt | |||||||
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Paris souterrain | |||||||
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René Prédal
René Prédal est professeur d'études cinématographiques à l'université de Caen, auteur d'une trentaine de livres sur le cinéma
et maître d'œuvre de nombreux volumes de la revue CinémAction, parmi lesquels Esthétique de la mise en scène (2007), Le jeune cinéma français (2002), Brûler les planches, crever l'écran : la présence de l'acteur (2001), Les scénaristes de télévision (1992), Michelangelo Antonioni (1991).
août 2003
mise à jour 27 novembre 2008
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