LE PORTAIL DES FILMS
SUR PARIS ET LA REGION ILE-DE-FRANCE

 

Île de France

Mairie de Paris

 

Parcours
Le quartier des Halles
par René Prédal
P83
La femme de Jean de Yannick Bellon
collection Paris Île-de-France
De nombreux documentaires et fictions se déroulent dans le quartier des Halles. Entre songe et réalité, sur les terrasses des cafés ou autour des contructions de Baltard, retour en images sur ce coeur géographique de la capitale dont la physiononomie a tout particulièrement évolué en un siècle.


Jusqu'aux années 1970 : le ventre de Paris
Un décor historique
Lieux parmi les plus pittoresques de Paris, les Halles et leurs abords immédiats ont souvent servi de cadre à des scènes de genre, et cela depuis les origines du cinéma où l'on se contentait de figurer le décor sur quelque toile peinte sans aller tourner en extérieurs des séries comiques enregistrées très rapidement (Bébé marchant de quatre saisons de Louis Feuillade, 1911 ; Jobart portefaix par amour d'Émile Cohl, 1911 ; Onésime marchand de moutons de Jean Durand, 1914…). Les "romans populaires" à l'émotion facile des années 1920 fournissent aussi des bandes comme L'enfant des Halles (1924) de René Leprince ou Petit moineau de Paris (1923) de Gaston Rodès. Le drame mondain Serge Panine (1938) de Charles Méré et Paul Schiller situe de même quelques séquences près du carreau.

Si le roman d'Émile Zola n'a jamais tenté aucun cinéaste, les Halles du Moyen Age et des Temps Modernes jouxtant la sinistre place de Grève ont parfois été reconstituées dans des films historiques : La bouquetière des Innocents (1922) de Jacques Robert s'y passe sous Henri IV et La fille de Madame Angot (1935) de Jean Bernard-Derosne évoque en studio les Halles du Directoire. Quant à l'église Saint-Eustache toute proche, elle constitue le théâtre d'un épisode du Jour et l'heure (1962) de René Clément qui donne une bonne description de la fin de l'Occupation allemande en 1944.


Cafés et boutiques
L'édification sous Napoléon III des constructions de Baltard a donné au quartier sa physionomie pour un peu plus d'un siècle. On les voit au petit matin dans Le signe du lion (1959) d'Eric Rohmer parcourues par un héros bohème qui se clochardise peu à peu dans le Paris désert de juillet. Mais ce sont plus souvent les cafés du quartier, les boutiques (l' "Angle du hasard" dans Out 1 : spectre de Jacques Rivette, 1974) ou un hôtel de passe de la rue des Innocents (L'armoire volante de Carlo Rim, avec Fernandel, 1948) qui sont préférés par les réalisateurs.

Le rendez-vous de minuit de Roger Leenhardt
La spectatrice (Lilli Palmer) quittant la salle de cinéma pour échapper à son destin suicidaire permet à la caméra de Roger Leenhardt de brosser un étrange tableau nocturne de l'entrelacs des petites rues avoisinantes, tour à tour désertes ou brusquement animées, dans Le rendez-vous de minuit (1961). Combinant la tradition d'un cinéma de personnages et de dialogues avec la liberté de tournage en extérieurs de la Nouvelle Vague, Pantalaskas (1960) de Paul Paviot conduit pour sa part trois frères d'infortune, attachés à sauver un géant lithuanien du désespoir, d'aventures insolites en rencontres chaleureuses, la nuit, de la place Aligre (12e) à la rue d'Ulm (5e) et aux Halles.


Entre songe et réalité
La nuit fantastique de Marcel L'Herbier
Vingt ans auparavant, La nuit fantastique (1941) de Marcel L'Herbier s'ouvrait sur un étudiant épuisé de fatigue après son travail et s'endormant sur le carré des Halles. Le film se terminait le matin au même endroit par le retour à la réalité. Mais celle qui avait peuplé ses songes (Micheline Presle) était cette fois miraculeusement à ses côtés. À l'opposé de ce conte féerique, Voici le temps des assassins (1956) de Julien Duvivier est un drame sanglant et sordide où une femme délaissée fait épouser sa fille à son ex-mari (Jean Gabin), patron d'un restaurant des Halles. La reconstitution du décorateur Robert Gys est d'une belle sécheresse et l'esprit de Zola inspire cette opposition des turpitudes humaines à un milieu décrit avec un froid réalisme qui renvoie ces individus à leur petitesse.


Les Halles vues par Hollywood
Hollywood privilégie les côtés spectaculaires, qu'il s'agisse de la brillante comédie Charade de Stanley Donen (avec Audrey Hepburn, 1963) enregistrée en décors naturels ou du "musical" culotté que tire Billy Wilder de la pièce plaisante d'Alexandre Breffort et Marguerite Monnod Irma la douce, la même année 1963. En technicolor et panavision, la rue Saint-Denis où évoluent péripatéticiennes et souteneurs - duo très drôle formé par Shirley Mac Laine et Jack Lemmon - constitue le plus beau décor d'Alexandre Trauner édifié sur les plateaux d'Hollywood. Le Paris rêvé par l'Amérique est mis en musique par André Previn dans des reliefs et des perspectives jubilatoires et une composition virtuose des volumes comme des couleurs, des accessoires et du mouvement. Jamais les Halles n'ont été aussi splendides que dans ce sommet de l' "entertainment".


Le trou des Halles
Mais en 1969, les Halles sont transférées à Rungis, démolition, creusement puis construction du Forum bouleversant l'endroit pour une bonne décennie. Le chantier est visible dans La femme de Jean (1974) de Yannick Bellon. Le visionnaire pamphlétaire Marco Ferreri en profite également pour filmer dans ce trou l'histoire de la défaite à Little Big Horn du général Custer (Marcello Mastroianni) face aux Indiens (Michel Piccoli, Alain Cuny et Serge Reggiani) ! Farce grotesque, Touche pas la femme blanche (1973) oppose le temps à l'histoire, le réel du décor à la fiction du récit et articule cinématographiquement mythes de l'Ouest, clichés hollywoodiens et prodigieux documents sur un des chantiers les plus monstrueux du siècle.


Le nouveau quartier du Forum des Halles
La persistance de la légende
Le charme acide de Rosa la rose, fille publique (1985) de Paul Vecchiali naît de l'insertion provocante, dans le clinquant moderniste du tout récent complexe, d'un mélodrame d'hier avec putes au grand cœur, macs, mauvais garçons et mort à l'aube après que la passion ait ravagé les cœurs. Amoureux du cinéma français d'avant la Nouvelle Vague et de la tradition populiste des années 1930-1950, le cinéaste filme donc un destin anachronique tout droit issu du réalisme poétique, mais dans la clarté d'une photo lumineuse d'esthétique publicitaire. Le long des rues Saint-Martin et Saint-Denis, le romanesque se mue en nostalgie intellectuelle et pas un instant le spectateur ne peut croire à cette vision conventionnelle qui n'est plus qu'une vue de l'esprit à l'époque du Sida. Indiscutablement l'inspiration vient d'autres films en contradiction avec le réel des années 1980.

N'empêche que la prostitution existe toujours, filmée de façon très personnelle par Guy Gilles (Le crime d'amour, 1981) ou Walerian Borowczyk (La marge, 1976). Les clichés et la légende sont donc tenaces et L'homme fragile (1981) de Claire Clouzot entretient même l'atmosphère et l'esprit ouvrier du passé dans une histoire d'amour entre deux être blessés sur fond de travail de nuit dans une imprimerie en pleine modernisation.

L'idée d'errance nocturne héritée de l'époque où la lourde silhouette des bâtiments du XIXe siècle pesait sur le quartier s'est aussi adaptée à toutes les catégories actuelles de marginalité : liberté sexuelle d'une jeunesse bourgeoise dans les boîtes à la mode (La nuit porte-jarretelles de Virginie Thévenet, 1984), exclus et paumés (Louise (take 2) de Siegfried, 1998), fous ou désespérés (Les clowns de Dieu de Jean Schmidt, 1986) se croisent, entre autres rendez-vous au cœur de la nuit, aux abords des Halles où Hugo Santiago rassemble aussi ses exilés d'Amérique Latine bercés par les mélodies du bandonéon (dans le cabaret Les trottoirs de Buenos Aires et le café Les bouchons des Trottoirs de Saturne, 1985).


Un espace indifférencié
La haine de Mathieu Kassovitz
Pourtant, si ce rassemblement de déviances, dérives et misères semble en continuité avec les aspects particuliers d'un quartier à l'image de marque longtemps très accusée, cette spécificité s'estompe aujourd'hui et le cinéma porte désormais témoignage de cette perte progressive d'identité. Le groupe de trentenaires instables de Fin août, début septembre (1999) d'Olivier Assayas comme les personnages superficiels de Rien que des mensonges (1991) de Paule Muret traversent les parages sans y développer ni attaches ni intrigues, un peu à la manière des jeunes gens qui bavardent à la terrasse d'un café du nouvel espace Beaubourg-Les Halles dans Les rendez-vous de Paris (1995) d'Eric Rohmer. Ils sont là comme ils pourraient être ailleurs ou peut-être même parce que c'est justement n'importe où, c'est-à-dire nulle part. Il est donc normal que Vinz, Saïd et Hubert aboutissent là de nuit dans les galeries marchandes désertes au terme des humiliations et des brimades subies lors de leur virée à Paris (La haine de Mathieu Kassovitz, 1995). Quant au groupe d'étudiants en Arts du spectacle du Grand bonheur (1993) d'Hervé Le Roux, ils prolongent ensemble leurs derniers moments d'amitié post-adolescente. Mais à la fin des vacances chacun partira explorer d'autres chemins : les Halles deviennent un carrefour, lieu de passage et de tous les possibles, de nouvelles images cinématographiques pour un quartier entièrement redessiné...


Filmographie
Fictions
Errances nocturnes
de Guy Gilles
1987, 1h34min
de Marcel L'Herbier
avec Micheline Presle
1941, 1h27min
de Roger Leenhardt
avec Lilli Palmer
1961, 1h28min
Comédies
de Carlo Rim
avec Fernandel
1948, 1h36min
de Stanley Donen
avec Cary Grant et Audrey Hepburn
1963, 1h49min
de Henri-Diamant Berger
avec Maurice Chevalier
1923, 27min
En musique !
Irma la douce
de Billy Wilder
1963, 2h22min
de Eric Rohmer
avec Jess Hahn
1959, 1h39min
de Hugo Santiago
avec Rodolfo Mederos
1985, 2h20min
Films historiques
de René Clément
avec Simone Signoret
1962, 1h49min
de Marco Ferreri
avec Catherine Deneuve
fiction, 1973, couleur, 1h48min
La face sombre du quartier
de Mathieu Kassovitz
1995, 1h38min
de Virginie Thévenet
1984, 1h20min
de Paul Vecchiali
avec Marianne Basler
1985, 1h24min
de Julien Duvivier
avec Jean Gabin
1955, 1h51min
Improvisation
de Jacques Rivette
avec Jean-Pierre Léaud
1971-74, 4h13min
Bibliographie
Voici le temps des assassins de Julien Duvivier
Il n'existe pas d'ouvrage sur le quartier des Halles au cinéma. Sur la question de l'architecture et du décor, on peut toutefois consulter :



"Architecture, décor et cinéma", sous la direction de Françoise Puaux, in CinémAction, n°75, Corlet/Télérama, 1995
En écho
Sur le site du Forum des images
A la découverte du 1er arrt

 

Paris souterrain

 

René Prédal
René Prédal est professeur d'études cinématographiques à l'université de Caen, auteur d'une trentaine de livres sur le cinéma et maître d'œuvre de nombreux volumes de la revue CinémAction, parmi lesquels Esthétique de la mise en scène (2007), Le jeune cinéma français (2002), Brûler les planches, crever l'écran : la présence de l'acteur (2001), Les scénaristes de télévision (1992), Michelangelo Antonioni (1991).
août 2003
mise à jour 27 novembre 2008

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