Parcours
A travers les mélodies associées à Paris, rencontrez les habitants de la capitale, "le gueux comme le riche, le fou comme le sage", quand le soleil tape ou quand les "jours sont couleur de mélancolie". |
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La grande cité parisienne accueille dès le Moyen Age une foule de chanteurs ambulants. Dans Quasimodo, le bossu de Notre-Dame (William Dieterle, 1939), une troupe de bohémiens s'installe sur le parvis de la cathédrale : danses, acrobaties et chants
animent les rues et entraînent la population dans une liesse bruyante. Un soir, dans la Cour des miracles, ils reprennent
en chœur :
Taratata taratata,
Ce soir sous la potence,
Taratata Taratata,
Les mendiants font alliance
Avec les chats les souris dansent
Et les poux font bombance. Les chanteurs et celles que l'on appelle alors les chanteresses investissent la ville pour déclamer leur répertoire et vendre leurs textes : séparés par quelques mètres, les uns entonnent
des airs paillards, alors que les autres reprennent inlassablement de pieuses chansons. Jusqu'à la Révolution, ces artistes
de la rue rejoignent des corporations de ménestrels ou de jongleurs. Le documentaire de Guy Lejeune Vie quotidienne et artistique sous la Révolution française revient sur cette période qui a consacré le chant populaire et citoyen.
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A cette époque, on entend résonner dans le ventre du Chat Noir des couplets morbides de Maurice Rollinat, maître de l'épouvante
comique, ou de Jules Jouy, dont La Veuve fut reprise par Damia en 1935 :
Cynique, sous l'oeil du badaud,
Comme en son boudoir une fille,
La Veuve se lave à grande eau,
Se dévêt et se démaquille.
Impassible, au milieu des cris,
Elle retourne dans son bouge ;
De ses innombrables maris
Elle porte le deuil en rouge.
Dans sa voiture se hissant,
Goule horrible que l'homme abreuve,
Elle rentre cuver son sang,
La Veuve. Le chansonnier Maurice Mac-Nab, qui débute au Quartier latin, inverse la tendance, et après lui Aristide Bruant, Charles Cros, Victor Meusy, avec des airs bien plus légers :
Ell' était jeune, elle était belle,
Elle sentait bon la fleur nouvelle,
Ru' Saint-Vincent.
( "Rose Blanche", Aristide Bruant) Le succès du Chat Noir lui vaut d'être imité plusieurs fois : des anciens adeptes comme Aristide Bruant, Paul Delmet ou Jules
Jouy tentent à leur tour de créer un lieu mythique. Plusieurs films évoquent le Lapin agile (auparavant Lapin à Gill, du nom de son propriétaire, André Gill) qui seul supporte la comparaison : l'ambiance des cabarets
s'essoufle. Finalement, les poètes prennent l'habitude de déclamer leurs textes dans les petites salles enfumées des cafés,
préférant aux cabarets l'ambiance plus intimiste des caf' conc'.
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Ce nouveau succès est vite remis en question : l'invention du cinéma bouleverse en effet les pratiques culturelles des français.
Le music-hall doit se diversifier pour être plus attractif, les spectacles étant chers et demeurant réservés à un public fortuné
où à des touristes émoustillés. Pourtant, par l'ironie du sort, c'est au Grand café, célèbre caf conc' du boulevard des Capucines,
que les premières projections cinématographiques ont lieu en décembre de cette fameuse année 1895...
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Ah Le petit vin blanc,
Qu'on boit sous les tonnelles
Quand les filles sont belles
Du côté de Nogent.
(Ah ! Le petit vin blanc, Jean Dréjac, 1943) |
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La chanson continue de se répandre dans différents coins de la capitale, comme le passage de l'Industrie ou La rue de la Gaîté qu'évoque Jean-Marie Drot dans la série Les heures chaudes de Montparnasse (1963) : c'est la grande époque de la gouaille parigote . Les vendeurs de journaux sollicitent les passants en leur annonçant les nouvelles du jour (Le crieur de journaux par Ricet-Barrier, Jean Bacque, 1950), tandis que les chanteurs de rues parcourent toujours Paris. Ils vendent des partitions illustrées, les
petits formats , en fredonnant, ralliant la population autour d'eux... Paroles et musiques : 1 franc ! . Albert Préjean dirige une de ces chorales improvisées, Sous les toits de Paris (René Clair, 1930), en plein milieu d'un faubourg populaire. Quelques années plus tard, la capitale est envahie par les automobiles
: les rues deviennent si bruyantes que les derniers chansonniers quitteront Paris à la fin des années soixante.
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La chanson illustre ces bouleversements au cinéma. Les clivages sociaux ne résistent plus longtemps à la mélodie, qui réunit
dans Bric à Brac et Cie (André Chotin, 1931) les puces de Saint-Ouen, où œuvre Fernandel, et les résidences chics des antiquaires argentés. On découvre
en 1936 le premier rôle d'Edith Piaf dans l'adaptation d'un des plus grands succès - et scandales - littéraires du début du siècle : Jalousie de Jean de Limur. La môme, figure de proue de la chanson réaliste, est déjà désarmante d'émotion et d'expression tragique.
A ses côtés, toujours dans Jalousie, apparaissent Suzy Solidor et une certaine Arletty.
Celle qui, pour tous, incarne au mieux l'accent parigot, c'est sûrement la gouailleuse à "gueule d'atmosphère" : dans Circonstances atténuantes (Jean Boyer, 1939), Arletty interprète Comme de bien entendu avec son ton à la fois résigné et boudeur. On retrouve la verdeur de ce langage dans l'ensemble de ses films parmi lesquels
Un chien qui rapporte (Jean Choux, 1931), où elle tient l'un de ses premiers rôles. En ces Années folles, la comédie est légère, et parmi les autres
personnages gouailleurs du moment, on retrouve Mistinguett (Rigolboche, Christian-Jaque, 1936) et son Momo, Maurice Chevalier (Aimez-moi ce soir, Rouben Mamoulian, 1932). Les refrains qu'ils entonnent ravissent toute une génération, et constituent bientôt un vaste répertoire
de chansons populaires.
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La chanson devient un élément clé du cinéma, particulièrement dans les années trente, et des cinéastes comme Jean Renoir (La règle du jeu, 1931) ou René Clair (Quatorze juillet, 1932) expriment la morale de leurs films en grande partie à travers elle. L'arrivée sur les écrans des premières vedettes de la chanson confirme la
donne ; le public réclame désormais ses interprètes favoris...
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Le bonheur nous surveille,
C'est merveilleux, quand on est amoureux,
Les beaux jours se réveillent, c'est merveilleux
La vie peinte en bleu, à grands coups de soleil
Puisque je t'aime et que tu m'aimes, c'est merveilleux.
(C'est merveilleux, Henri Contet, 1946) Puis vient l'époque de la TSF, décrite par Marcel Paul dans Les surprises de la radio (1937). C'est aussi l'arrivée des premiers disques, et des salles de cinéma fleurissent un peu partout en France. La médiatisation
des stars s'accentue : nombre d'interprètes passent devant la caméra, et de plus en plus de disques sont édités à la gloire
du film parlant. Après ses débuts à l'Alcazar de Marseille et aux Folies-Bergères, Maurice Chevalier s'en va conquérir les Etats-Unis : le "French lover" y tourne pendant sept ans, et participe aux premières grandes comédies musicales, parmi lesquelles Une heure près de toi d'Ernst Lubitsch (1932). A son retour en France en 1935, il est accueilli comme une star. Aux Etats-Unis toujours, Ginger Rogers et Fred Astaire forment le couple mythique du cinéma chantant. Leurs aventures les emmènent parfois jusqu'à Paris, comme dans La grande farandole (H. C. Potter, 1939).
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Le succès du film de chanteurs ne s'explique pas toujours par la qualité du scénario. Certaines œuvres servent avant tout
la promotion de personnalités, et sont surtout un prétexte pour chanter : en 1956, Le chanteur de Mexico (Richard Pottier) consacre Luis Mariano en nouvelle idole. Des artistes de second plan deviennent aussi, pendant un temps, de véritables vedettes, comme ce fut le
cas pour Georges Milton (Le roi du cirage, Pière Colombier, 1931).
Les années cinquante et soixante voient apparaître un cinéma renouvelé. La présence du chanteur est plus souvent justifiée
par son charisme, sa capacité à incarner un personnage populaire : le spectateur voit en lui un être familier, qu'il connaît
déjà grâce à la radio et aux disques. Et lorsqu'un chanteur parvient à jouer avec un tel charisme, il en résulte de grandes
œuvres, des chansons cultes : Sous le ciel de Paris (Julien Duvivier, 1951), interprétée par Jean Bretonnière, est un poème qui sonne comme un hymne à la capitale. Le chant
devient un élément central de la narration, et certaines interprétations hantent le récit : on se souvient en particulier
du Tourbillon de la vie chanté par Jeanne Moreau dans Jules et Jim (François Truffaut, 1962).
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Tout comme Montmartre, Saint-Germain-des-Prés a abrité de célèbres personnalités qui ont contribué à faire de Paris une capitale
culturelle. Ce fragment du 6e arrondissement accueille depuis le XVIIe siècle gens de lettres et artistes. La musique y prend
une place grandissante à partir de la Libération, avec l'épanouissement simultané du jazz et de la chanson moderne. Saint-Germain-des-Prés
devient rapidement le berceau d'une culture contestataire, portée par des écrivains, comédiens et chanteurs qui en réaction
aux horreurs de la Seconde Guerre dénoncent toute forme de violence et d'autorité. Jacques Baratier, dans Le désordre à 20 ans et Voilà l'ordre (1966), revient sur les grandes heures de ce mouvement générationnel. De jeunes inconnus débarquent , comme Marcel Mouloudji ou Léo Ferré, découvert par Cora Vaucaire.
D'abord peu apprécié par la Rive Gauche, Léo, le lion, l'anarchiste est finalement reconnu pour son immense talent d'auteur
et d'interprète. Le poète monégasque reprend la thématique usée du Paris populaire pour en tirer des textes d'une authentique
nouveauté. Pour celui qui chantait J'habite à Saint-Germain-des-Prés, Paris est une idée de liberté, un symbole de révolte, un espoir de révolution. Léo Ferré s'inscrit dans la tradition des
Baudelaire, Villon, Nerval, Apollinaire dont il a mis en musique certaines œuvres. Ses chansons sont l'évocation charnelle
d'une ville invitant aux déambulations nocturnes, le lieu de transgression de tous les tabous et les interdits :
Paris marlou
Aux yeux de fille
Ton air filou
Tes vieilles guenilles
Et tes gueulantes
Accordéon
Ça fait pas d'rentes
Mais c'est si bon
Tes gigolos
Te déshabillent
Sous le métro
De la Bastille
Pour se saouler
A tes jupons
Ça fait gueuler
Mais c'est si bon.
(Paris canaille, Léo Ferré, 1953) Saint-Germain devient le lieu de rassemblement des poètes d'après-guerre : les terrasses du Café de Flore, des Deux Magots
ou de la brasserie Lipp sont prises d'assaut. Dans Saint-Germain-des-Prés (1955), Orson Welles, dépéché par le New York Herald Tribune, fait à son tour découvrir ce petit village au cœur de Paris, avec ses "autochtones" habitués des terrasses des cafés, et ses "troglodytes" envahissant les caves... Ainsi parlait Boris Vian, ami de Jean-Paul Sartre et Miles Davis. L'auteur de J'irai cracher sur vos tombes demeure une figure clé de cette époque d'après-guerre, où chanson rime avec contestation et provocation. Ce touche-à-tout
de génie est à la fois écrivain, poète, musicien, ingénieur, traducteur et chroniqueur de jazz. Ses oeuvres littéraires ne
rencontrant que peu de succès, Boris Vian n'oublie pas ce qu'il considère à juste titre comme une vérité élémentaire : "primum vivere". De plus, ses problèmes de santé l'empêchent de s'investir pleinement dans une carrière de chanteur et de trompettiste. Pour
gagner sa vie en restant artiste, il met son talent au service de la composition, et écrit une série de textes au vitriol.
Le prince de Saint-Germain-des-Prés donne le ton, influençant et marquant à jamais chacun des artistes qu'il a rencontré.
En 1954, Marcel Mouloudji interprète un de ses textes phares, Le déserteur, le jour même de la prise de Dien-Bien-Phu.
La même année, Boris Vian chante Les jardins de banlieue :
En banlieue
Des trains, des remblais et des gares
Et puis on y est sans crier gare
En banlieue
On quitte Paris dans la suie
Et voilà les maisons fleuries
De banlieue
L'été, y a des lilas qui chantent
Sur des rythmes de valse lente
La banlieue. Juliette Gréco, figure incontestée d'une jeunesse engagée, chante au Tabou, une des fameuses caves du quartier. Toutoune , comme l'appelle alors Boris Vian, entame une carrière professionnelle en 1949, lors de la réouverture du Bœuf sur le Toit.
Elle interprète des textes de Jacques Prévert, Raymond Queneau, Jules Laforgue, Françoise Sagan et collabore souvent avec
le musicien Joseph Kosma. Puis la muse des germanopratins rejoint les plateaux de tournage, pour faire une de ses premières apparitions au cinéma dans un film de Jean Renoir, en 1956
: Elena et les hommes.
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Ivo Livi, qui se fera appeler plus tard Yves Montand quitte Marseille en 1944 pour s'installer à Paris. Il fait ses premiers pas sur scène à l'ABC, à Bobino, aux Folies-Belleville
ainsi qu'au célèbre Moulin-Rouge. Là, il passe en première partie d'Edith Piaf, qui prend sa carrière en main en décidant
d'en faire un grand chanteur : après les chansons de cow-boys et les chansons d'amour, Yves Montand interprète des textes
de Jacques Prévert. Perfectionniste et boulimique, il offre des prestations scéniques impressionnantes, où chaque geste, chaque
détail a été mis en scène pour incarner au mieu l'esprit des chansons. Très vite, le septième art s'intéresse à ce phénomène,
et Yves Montand tourne avec les plus grands : Claude Sautet (Garçon ! ; Vincent, François, Paul et les autres), Jean-Pierre Melville (Le cercle rouge), Constantin Costa-Gavras (Clair de femme), Henri-Georges Clouzot (Le salaire de la peur), Marcel Carné (Les portes de la nuit), Sacha Guitry (Napoléon) ou encore Jean-Paul Rappeneau (Tout feu tout flamme).
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J'aime sentir sur les places
Dans les rues où je passe
Ce parfum de muguet que chasse
Le vent qui passe
Il me plaît à me promener
Par les rues qui s'faufilent
A travers toute la ville
J'aime, j'aime Paris au mois de mai.
(J'aime Paris au mois de mai, Charles Aznavour, 1964) Charles Aznavour, qui rêvait de devenir acteur, voit son vœu se réaliser en 1960 : il est choisi par François Truffaut pour
interpréter le personnage de Charlie Kohler dans Tirez sur le pianiste. Le succès du film est tel que le chanteur dispose désormais d'une renommée internationale : en effet, quelque mois plus
tard, il se produit au Carnegie Hall à New-York.
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C'est Jacques Canetti, directeur des Trois Baudets et directeur artistique chez Philips, qui découvre Jacques Brel, en 1953, et l'encourage à s'installer à Paris. Les années suivantes, le jeune chanteur belge se produit au Trois Baudets
et Chez Patachou, avant d'être annoncé à l'Olympia. Désormais, tout artiste ayant un peu d'ambition doit éprouver les planches du célèbre endroit. Construit en 1892 sur l'ancien
emplacement des montagnes russes, l'Olympia est d'abord un music-hall, puis un cinéma, avant d'être racheté en 1952 par son
plus célèbre propriétaire, Bruno Coquatrix. Ayant retrouvé sa vocation première, l'Olympia devient au bout de quelques années le nouveau temple de la chanson qui lance,
parmi tant d'autres, Lucienne Delyle, Gilbert Bécaud... Monsieur 100 000 volts divertit le tout Paris : il chante, danse, compose pour le cinéma (La maison sous les arbres, René Clément, 1971), écrit l'Opéra d'Aran, qu'il présente au magazine 5 colonnes à la une en 1962.
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Jacques Canetti continue de chercher de jeunes talents. En 1953, il produit le premier album de l'ami Georges Brassens. La tendre ironie du Sétois, son timbre de voix si particulier le conduisent au succès. Personnage incontournable de la nouvelle
chanson française, Georges Brassens tourne avec René Clair dans Porte des Lilas (1957), dans lequel il joue son propre rôle. En 1954, Bruno Coquatrix offre l'Olympia au poète, qui conquiert définitivement
le public parisien.
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J'suis l'poinçonneur des Lilas
Le gars qu'on croise et qu'on n' regarde pas
Y a pas d'soleil sous la terre
Drôle de croisière
Pour tuer l'ennui j'ai dans ma veste
Les extraits du Reader Digest
Et dans c'bouquin y a écrit
Que des gars s'la coulent douce à Miami
Pendant c'temps que je fais l'zouave
Au fond d'la cave
Paraît qu'y a pas d'sot métier
Moi j'fais des trous dans des billets.
(Le poinçonneur des Lilas, Serge Gainsbourg, 1958) |
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Le règne de la télévision précipite la chanson dans un tourbillon médiatique, qui commence avec la publicité. Le concept
marche immédiatement, car il est plus simple de vanter les mérites d'un savon, d'un dentifrice ou d'une boisson sur un petit
air entraînant. En témoignent plusieurs publicités pour La Samaritaine, ou bien encore La caissière du grand café, qui donnait le ton dès 1947 :
C'est ce soir qu'elle va se décider,
Notre belle caissière du Grand Café,
Car depuis des mois on se languit,
Vivement qu'elle choisisse son mari.
A l'occasion de l'Exposition universelle de 1900, Charles Pathé avait présenté le phono-cinéma, permettant au public de voir
et d'entendre ses célébrités préférées. Quelques années plus tard, le fameux juke-box apparaît pour la première fois dans
les cafés et les kermesses. Grâce à cette boîte à musique améliorée, chacun peut danser et chanter sur des airs à la mode,
en plein jour, sans être obligé d'attendre la sortie du vendredi soir pour montrer ses prouesses.
Dans les années soixante, la chanson gagne le petit écran avec l'invention du scopitone, dont le réalisateur Daidy Davis-Boyer reste une figure emblématique. Hybride du juke-box et du projecteur 16 mm, le précurseur du vidéoclip a connu ses jours de
gloire en France à l'époque des yéyés. Malgré une courte carrière, le scopitone a su donner un avant-goût de l'audiovisuel
en introduisant le concept image-son. De L'avventura de Stone et Charden à Salma de Dalida, en passant par Ville de solitude de Jean-Jacques Goldman, Dady Davis-Boyer, mais aussi Jean Bacque et Alain Brunet, ont su donner un charme tout particulier à ces vidéos teintées de romantisme et de nostalgie. Ce support à l'origine de
nombreuses productions quelque peu ringardes a toutefois permis de mettre en images l'univers de chansons plus personnelles
: Jacques Dutronc promène sa silhouette dans Le petit jardin, et la vidéo rend tout le charme et la dérision du texte de Jacques Lanzmann.
Les yéyés, c'est surtout l'époque des Idoles qu'évoque Marin Karmitz dans le documentaire qu'il co-réalise avec Paule Senguissen en 1964 : garçons et filles, de douze
à trente ans, tous sont tentés par le monde du show-business. Sans doute parce que lorsque Sheila interprète Petite fille de Français moyens (1968), des milliers d'ados s'imaginent à leur tour sur la scène de l'Olympia. Il faut croire que peu de choses ont changé
et que l'histoire se répète : la carrière de chanteur promet une ascension sociale qui continue de séduire les jeunes générations
!
A l'époque de Salut les copains, plusieurs émissions télévisées tentent d'expliquer ce phénomène social : en 1963, Jean-Pierre Chartier consacre une émission
spéciale de l'Avenir est à vous aux yéyés, à leurs habitudes, à leurs lieux de rendez-vous. Au cinéma, l'alerte est donnée, et des réalisateurs comme Marc'O
tentent de prévenir les jeunes d'une éventuelle désillusion : sa version des Idoles (1968) est beaucoup plus engagée, et insiste sur le caractère éphémère et superficiel d'une carrière de chanteur.
Dans les années soixante-dix, on s'interroge toujours sur le star-system : des magazines de société sont consacrés aux nouveaux
chanteurs de variétés, comme dans le reportage Ces nouveaux princes du hit-parade (1973), illustré par les exemples de Sheila et Ringo, Stone et Charden, Mike Brandt et Michel Sardou.
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Concurrencé pendant quelques temps par la variété, le rock trouve un nouveau souffle avec le clip vidéo : on écoute Téléphone, Alain Bashung... mais aussi, dans un autre style, Cyndi Lauper, Vanessa Paradis, Louis Chedid, car le clip est indispensable à la promotion de toutes les chansons. Devenu le lieu privilégié d'innovations esthétiques
et techniques, le clip vidéo connaît depuis un succès grandissant, notamment grâce au talent d'artistes éclairés comme Michel Gondry, vidéaste à la renommée internationale.
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Aujourd'hui, des chanteurs comme Thomas Fersen témoignent de l'intérêt dont Paris fait toujours l'objet : Aux puces de Clignancourt,
Au marché aux bestiaux,
Je t'attendais mon amour...
Tu le sais.
(Je t'attendais, Thomas Fersen, 1993) Quant au rock festif et engagé des Têtes Raides, il célèbre une ville insolente, tour à tour émouvante et révoltante : Que Paris est beau quand chantent les oiseaux
Que Paris est laid quand il se croit français.
(L'iditenté, Têtes Raides, 2000) Le groupe, originaire de la banlieue parisienne, composent en 2000 une chanson pour le film expérimental de Cathy Lee Crane,
The girl from Marseilles.
La collaboration continue donc entre le cinéma et la chanson, sous diverses formes : alors que le jeune Faudel fait ses débuts
d'acteur avec Audrey Tautou dans Le battement d'ailes du papillon (Laurent Firode, 2000), d'autres préfèrent rester hors-champ, comme M et Arthur H, qui prêtent leur voix aux personnages
de Tous les i de Paris s'illuminent (Guillaume Casset, 1999).
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Le chanteur est d'abord généralement celui qui espère pouvoir chanter un jour ! Le cinéma a largement décrit depuis les années
trente cette volonté de devenir un professionnel connu et reconnu par ses pairs. Dans l'étonnant Mirage de Paris (1932), le réalisateur Fedor Ozep dévoile les aspirations secrète d'une jeune provinciale, qui monte à la capitale pour débuter
une carrière de chanteuse. Madeleine débarque à Paris dansune agence formant des vedettes , et découvre un univers peuplé d'individus sans scrupules. Souvent naïf, le personnage du chanteur évolue dans un milieu
qu'il connaît peu, et côtoie parfois malgré lui des professionnels plus ou moins bienveillants. La petite provinciale jouée
par Edith Piaf en fait les frais dans Etoile sans lumière (Marcel Blistène, 1945) : alors qu'elle est engagée depuis quelques semaines pour doubler la voix d'une ancienne star du
cinéma muet, elle commence à se sentir bernée, et déclare : "Pourquoi qu'il l'emporte ma voix ? [...] Ca m'fait un drôle d'effet, c'est comme si on me prenait quelque chose de moi, c'est
comme un peu d'mon coeur qui s'en va..."
Car s'il y a de la joie dans le métier de chanteur, il y aussi beaucoup de moments de désenchantement. Adieu aux rêves de
gloire quand l'artiste rate son Rendez-vous avec la chanson (Stanislaw Bareja, 1969), qu'il se retrouve isolé, blessé par une réalité cruelle :
Cette fameuse fin du mois
Qui depuis qu'on est toi et moi,
Nous revient sept fois par semaine
Et nos soirées sans cinéma,
Et mon succès qui ne vient pas,
Et notre pitance incertaine.
(La vie d'artiste, Léo Ferré, 1968) Le monde du spectacle ne laisse pas de place aux indécis, aux amateurs, et comme l'affirme l'agent d'Estelle de Pressendi,
interprétée par Damia dans Tu m'oublieras (Henri Diamant-Berger, 1931) : "On oublie vite à Paris..." Pour autant, le désespoir ne dure pas souvent, et la fiction utilise fréquemment cette étape narrative comme un ressort de
l'action : le personnage se ressaisit et, de nouveau plein de volonté, parvient à convaincre impresarios et producteurs pour
finalement devenir une grande star. Dans La crise est finie(1934) de Robert Siodmak, c'est le couple formé par Albert Préjeanet Danielle Darrieux qui parvient au succès en montant une
revue de music-hall, et ce malgré de nombreux obstacles.
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Cette figure de l'artiste révélé, qui croit en son destin, se retrouve fréquemment dans le cinéma de l'entre-deux-guerres
: Michel Chion parle de la voix de ce type de personnages comme celle "d'un trésor qui se cache sous un aspect populaire et commun", et qui, une fois révélé, permet de "faire voyager les personnages d'un extrême à l'autre de l'échelle sociale". Papillon fait partie de cette catégorie d'artistes : le personnage de Charles Trenet fait fi des recommandations de sa mère, qui lui
expliquait que dans les autres métiers, "ils ne crèvent que de faim, alors que les artistes, ils crèvent de tout". Après avoir caché ses ambitions à sa famille, il s'assume pleinement, et oubliant ses anciennes galères, entonne finalement
sa Romance de Paris devant un public conquis. Dans ce film réalisé en 1941 par Jean Boyer, l'acceptation de son statut marginal et son humilité
conduisent le chanteur au succès : pas de réussite sans prise de risque, telle est la règle énoncée ici.
C'est en effet l'amour de son art qui doit compter avant tout, qu'importe ce qu'il peut avoir comme conséquences. Vivre dehors,
quitter sa famille, tant pis, si c'est pour chanter à sa guise et finir par se produire sur scène. L'artiste s'adapte et s'accommode
aussi bien des hôtels luxueux que des troquets sombres. Ainsi Zizi Jeanmaire danse aux Folies-Bergères (Un soir au music-hall, Henri Decoin, 1956), alors que Papillon, dans Romance de Paris, offre son récital sur scène… ou sur un échafaudage de travaux publics. La ville devient un village, où les bars et les salles
enfumées sont autant de repères pour le chanteur : une intimité se crée entre la capitale et les bohèmes qu'elle accueille.
Paris est personnifiée, et l'on parle à la ville, car elle seule peut comprendre les aspirations d'un artiste. Joséphine Baker clame :
Paris de mes amours,
Quand je suis là devant toi,
Je ne puis m'empêcher de te dire ma joie.
(Paris Mes amours, Josephine Baker, 1959) Quant à Cléo, la chanteuse vedette de Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1962), elle propose que les rues de Paris portent le nom de chanteurs...
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Paroles et musiques permettent parfois d'aborder plus finement des sujets difficiles. Olivier Ducastel et Jacques Martineau
ont par exemple fait le choix de la comédie musicale pour leur premier film, en 1997 : Jeanne et le garçon formidable conte l'histoire d'un jeune couple détruit par le sida. Dans ce long métrage, les personnages chantent l'ironie du sort,
chantent la cruauté et le désespoir, en prenant à partie le spectateur, comme pour mieux s'adresser à lui, et faire en sorte
qu'il se sente pleinement concerné. Dans un style plus léger, Woody Allen adopte la même approche avec Tout le monde dit I love you (1996) : c'est dans un Paris romantique que se joue la comédie de l'amour, et les anciens amants s'adressent avec nostalgie
aux spectateurs pour raconter leur histoire. La comédie musicale fait ainsi son grand retour dans les années quatre-vingt
dix ; la chanson devient le vecteur du récit, en favorisant les portraits croisés, comme dans On connaît la chanson (1997) d'Alain Resnais ou Haut Bas Fragile (1995) de Jacques Rivette .
Elément perturbateur, le chanteur apporte avec lui un souffle de libération. Loin des conventions, il fascine les foules,
inquiète l'institution. En 1948, Ray Ventura et son orchestre participent à une émission de radio pirate dans Nous irons à Paris : avec l'apparition de nouveaux moyens de diffusion, il devient aisé de court-circuiter les discours officiels, de proposer
des textes plus subversifs. La population se reconnaît dans des chansons désormais largement diffusées par les médias... à
leur tour visés par certains textes. Car la chanson n'épargne rien ni personne, elle dénonce, et exprime parfois avec virulence
le ras-le-bol et l'incompréhension de ces auteurs. Dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972), le sarcastique Jean Yanne dresse un portrait sans complaisance de la société des années soixante-dix, en parodiant
en chansons le monde des médias.
L'engagement du chanteur paraît d'autant plus émouvant hors de la fiction, révélant souvent un esprit rebelle, une âme écorchée.
Le magnifique documentaire de Chris Marker La solitude du chanteur de fond (1974) laisse deviner la personnalité généreuse, le caractère entier d'Yves Montand : son interprétation du Chant des partisans, écrit par Maurice Druon et Joseph Kessel, reste un des plus bels éloges à la liberté d'expression :
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.
(Chant des partisans, Maurice Druon, Joseph Kessel, 1944) |
(Re)découvrez les personnalités et les lieux qui ont participé à l'histoire de la chanson, à travers un florilège de documentaires
et de fictions.
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de Alain de Sédouy et André Harris
1964, 29min
Interviews de Claude François
Love Me Tonight (Aimez-moi ce soir)
de Rouben Mamoulian
avec Maurice Chevalier et Jeanette Mac Donald
1932, 1h25min
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Cabarets, cafés et bistrots de Paris, Béatrice Malki-Thouvenel, Horvath, 1987
La chanson à Montmartre, Michel Herbert, La table ronde, 1967
Manuel de Saint-Germain-des-Prés, Boris Vian, Chêne, 1974
Nouvelle vague, la jeune chanson française depuis 1981, Jean-Claude Perrier, La table ronde, 2002
Paris des rues et des chansons, René Maltête, Bordas, 1995
La vie en rose, Hymne à la chanson française, Pierre Delanoë, Alain Poulanges, Editions Plume, 1997
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100 chansons pour Paris, Maurice Chevalier, Danièle Darrieux, Mistinguett, etc., Virgin, 2003
Le Paris de... Montand, Yves Montand, Columbia, 1992
Paris en chansons, Arletty, Bourvil, Jean Sablon, etc., Wagram, 2004
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Jazz in Paris, par Thierry Jousse | |||||||
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Le Paris de Jean Renoir, par Claude Gauteur | |||||||
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Le Paris de René Clair, par Noël Herpe | |||||||
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Hall de la chanson : http://www.lehall.com Site officiel du Centre National du Patrimoine de de la Chanson. |
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Philharmonie de Paris : http://philharmoniedeparis.fr/fr La Philharmonie de Paris organise souvent des expositions consacrées à des chanteurs célèbres, français ou étrangers. |
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Irma : http://www.irma.asso.fr Le centre d'Information et Ressources pour les Musiques Actuelles met à disposition une importante base de données. |
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L'Ircam : http://www.ircam.fr/ L'Institut de recherche et coordination acoustique/musique se consacre à la création musicale et à la recherche scientifique.
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mai 2004
mise à jour 1 décembre 2008
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