Parcours
Inclassable, Charles Belmont l’est sans doute. Ses films, souvent corrosifs, aiment mélanger les genres. Ils nous parlent
de sujets pour beaucoup encore d’actualité, avec une forme toujours originale. Paris y apparaît comme une ville polymorphe,
quelquefois surréaliste, désertée ou au contraire surpeuplée. Une ville "sombre et solaire", à l’image de son œuvre.
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Charles Belmont est décédé le 15 mai 2011. Marie-France Pisier est morte quelques jours plus tôt dans des circonstances troubles.
Elle incarne Alise, brunette aux cheveux courts, dans L’écume des jours, son premier long métrage dont la sortie fut stoppée net par les événements de mai 1968. Cette adaptation du livre de Boris
Vian, tournée par un jeune cinéaste presque inconnu, réalise l’exploit de rendre la poésie de cet ouvrage (le "cœur" disait Jacques Prévert) à l’aide de grands acteurs, alors débutants. Sami Frey incarne Chick, collectionneur des œuvres de
Jean-Sol Partre. Il est séduit immédiatement par Alise qui, elle aussi, vide les poubelles de son auteur préféré à la recherche
de ses brouillons. Jacques Perrin est Colin, l’inventeur du pianococktail, et l’amoureux malheureux d’une jeune femme atteinte
d’un mal étrange : un nénuphar pousse dans sa poitrine. La fleur hante tout ce film, tourné notamment à Paris. Une ville un
peu étrange, recomposée, aux tonalités ocres. Une ville un peu vidée, marquée par la maladie. Le cancer, probablement.
"C’est bien dans la lignée des grands poèmes lyriques, a écrit un critique dans Réforme, qu’il faut situer Rak. Même s’il est aussi satire, comédie, enquête, réquisitoire." Et c’est vrai que Rak est tout cela à la fois. Ce film évoque avec beaucoup de justesse, et une forme sans cesse mise à l’épreuve, l’essence même
de la vie : la vie ne serait rien sans la conscience de la mort. Rak est un film dur. Sur le cancer et, indirectement, l’angoisse de la mort. Rak est aussi un film drôle, avec des scènes totalement décalées comme cette grand-messe à l’hôpital menée par un médecin-chef
grotesque, suivi de tous ses sous-fifres, faisant le tour de ses patients comme un monsieur Loyal présenterait ses numéros
au cirque. Rak, enfin, est un film engagé. Au sens noble du terme. Engagé d’un point de vue artistique. Mêlant les genres avec une grande
aisance. Et engagé dans une forme de dénonciation, en rendant compte de l’hypocrisie de la société envers les plus faibles,
en l’occurrence ses malades.
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Histoires d’A, réalisé avec Marielle Issartel, fait le point sur les luttes en faveur de la contraception et de l’avortement libres, n’hésite
pas à filmer dans une scène didactique et dédramatisante un avortement selon la technique dite "par aspiration", et donne longuement la parole à des jeunes femmes, médecins et employés du planning familial. Comme cette femme, déjà mère
de trois enfants, qui décide de se faire avorter. La caméra, attentive, écoute le récit du médecin lui expliquant, sans fausse
pudeur, comment il va procéder. Rien n’est caché, tout est dit. Puis tout est montré de cet avortement. Histoires d’A se permet, aussi, de l’humour dans une séquence décalée sur la "femme-objet". Une grande liberté de ton et de forme caractérise ce film militant qui fera un énorme tapage : malgré les interdictions,
500 000 spectateurs pourront le voir.
Paris, cette fois-ci, n’est plus du tout désert. Au contraire. Les jeunes descendent par centaines dans la rue pour manifester.
Ils se retrouvent, également, dans différents lieux de la capitale. Comme au congrès du planning familial. Et à proximité
du jardin des Plantes, des femmes enceintes se réunissent, avec l’espoir de trouver une solution pour avorter dans de bonnes
conditions.
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La famille se recompose autour de cette nouvelle donne. Pendant ce temps libre inespéré, Michel (Jean Crubelier) prend le
temps de s’occuper de Clémence, sa petite fille. Il fait le ménage. Il cuisine, beaucoup. Il cherche à trouver une autre façon
de vivre. Il redécouvre ses désirs, il redécouvre le temps. Un nouveau projet de vie se présente à lui. Un peu, finalement,
comme Sami Frey dans Rak. Les deux acteurs ont d’ailleurs une ressemblance physique presque troublante.
Le projet des deux scénaristes fut de montrer comment le travail balise le temps et la ville. Lorsque le travail fait défaut,
la ville peut devenir vertigineuse. Elle n’est pas toujours accueillante pour ceux qu’on "empêche de travailler". Paris est ainsi filmé à plusieurs reprises de nuit. Une ville rosée, illuminée par des néons. Philippe Rousselot, le futur chef opérateur de Diva, est chargé de la photo, comme il l’était déjà sur Histoires d’A. Il a cherché, avec Charles Belmont, à faire ressortir l’ombre de la nuit. Le résultat est assez saisissant.
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Qui de nous deux ? démarre avec l’arrivée de Bethsabée, dite Bébé, dans le lycée Claude Monet, situé dans le 13e arrondissement. Ses relations
avec sa mère, artiste plasticienne qui a eu sa période "photographies d’os de poulet" ( "on a mangé du poulet pendant six mois", confie-t-elle au tout début du film), les cours (barbants), les copains et copines, les flirts, rien n’est oublié des tourments
de cette jeunesse aux joues encore pouponnes. Le film est structuré par les trajets de son héroïne, matin et soir, dans le
bus 62, qui l’amène de son appartement à son lycée, du 14e au 13e. Deux arrondissements très présents dans ce film. Le soir,
il lui arrive de sortir en boîte de nuit sur une péniche, où l’aventure tourne malheureusement mal. Le long de la Seine, il
arrive aussi que l’aventure tourne bien. Paris est légèrement bleuté, autour de son fleuve, où l’attend l’amour. Sans doute
un amour de jeunesse.
Il y a, ainsi, de la tendresse et de l’amour dans le Paris de Charles Belmont. Il y a de la joie. De la souffrance, aussi.
Paris y est une ville "sombre et solaire", à l’image de son œuvre.
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7 mai 2012
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