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Parcours
Jean-Pierre Melville
Petite biographie
par Franck Garbarz
P188
collection Paris Île-de-France
Jean-Pierre Melville (1917-1973), de son vrai nom Jean-Pierre Grumbach, a réalisé une œuvre au ton épuré où se révèle son génie de la direction d'acteurs.


Premières passions
 
Elevé dans la culture du music-hall grâce à un oncle ami de Maurice Chevalier et dans la cinéphilie américaine d'avant-guerre, Jean-Pierre Melville tient sa première caméra (une Pathé Baby) à six ans et bricole des petits films tournés depuis la chambre de sa fenêtre. A l'adolescence, il est également nourri par la littérature anglo-saxonne, par trois auteurs surtout : Edgard Poe, Jack London et Herman Melville. C'est par admiration pour ce dernier qu'il changera de nom bien avant d'être cinéaste.


Premiers films
 
Dévoreur de films, Melville veut être cinéaste depuis toujours. Après-guerre, il fonde sa propre société de production après qu'on lui ait refusé une carte de travail par refus de se syndicaliser. Il signe un premier court métrage en 1946, 24 heures dans la vie d'un clown, en hommage à sa première passion, le cirque.

Après une longue bataille juridique, Melville décide d'adapter le livre de chevet de la Résistance, Le silence de la mer de Vercors. Il n'est autorisé à sortir le film qu'après un visionnage d'un comité de résistants présidé par Vercors lui-même. Tourné dans la clandestinité, Melville reste farouchement non syndiqué, et dans la maison même de Vercors, le film impose un ton épuré, très peu porté par l'action et inspiré par l'opéra. Ce style, adapté à l'univers du polar, deviendra bientôt la marque de fabrique unique du cinéaste. Sur ce premier film, il apprend toutes les facettes du métier, de la production au montage tout en se passionnant pour les techniques de prise de vue. Une maîtrise qui fera de lui un créateur indépendant et quasi autonome jusqu'au bout puisqu'il possède également ses propres studios rue Jenner où sera tourné, entre autres Le trou de Jacques Becker.

Ebloui par Le silence de la mer, Jean Cocteau lui propose d'adapter Les enfants terribles, film qui marquera les futurs "jeunes Turcs" de la Nouvelle Vague. Puis fatigué de sa marginalité au sein de la profession (où il est taxé de cinéaste amateur et intellectuel), Melville fait des concessions avec Quand tu liras cette lettre joué par Juliette Gréco, avec qui il fréquente le Saint-Germain-des-Prés de la fin des années quarante. Le cinéaste reniera toujours plus ou moins le film.


Le cycle policier
 
En 1955, Melville démarre son cycle de films noirs avec Bob le flambeur d'après un scénario qu'il a écrit cinq ans auparavant. Entre-temps, le cinéaste a vu Quand la ville dort de John Huston et laisse Auguste Le Breton (écrivain-scénariste de Razzia sur la chnouf, Du rififi chez les hommes, Le clan des Siciliens…) remanier son histoire de façon plus légère. Le cinéaste avoue volontiers à ce propos avoir filmé autant une histoire de mœurs qu'un "film de casse" ayant influencé beaucoup de monde par la suite. Le Bob du film, Roger Duchesne, est un ancien acteur d'avant-guerre "entré" depuis dans le milieu. Il apporte au film une vision nostalgique du Montmartre des années 1940 et définit un code de conduite masculin que le cinéaste n'aura plus à exposer dans ses polars suivants.

Si Bob le flambeur était voulu par son auteur comme une lettre d'amour à un Paris disparu, Deux hommes dans Manhattan procédait de même pour New York. Acteur au premier plan dans ce film qu'il estime raté, Melville jouait un journaliste déambulant dans Manhattan à la recherche d'un membre de l'ONU. Il est à nouveau acteur pour le premier film de Jean-Luc Godard, A bout de souffle, dans un rôle considérablement coupé au montage.

Au début des années soixante, Melville tourne coup sur coup trois films avec Jean-Paul Belmondo. Léon Morin prêtre le présente en soutane (ce qui handicapa la crédibilité du film), Don Juan catholique face à une Emmanuelle Riva choisie par Melville en hommage à Hiroshima mon amour d'Alain Resnais. Après un Don Juan avorté pour Georges de Beauregard, il adapte une série noire de Pierre Lesou avec le même producteur, Le Doulos. Melville y réussit une œuvre de genre rendant à la fois hommage au film noir américain tout en restant française, mais en complet décalage avec la tradition des années cinquante, hormis Jacques Becker peut-être. Serge Reggiani, voulu absolument par Melville, rejoint un Belmondo campant, à son insu, un informateur dans une intrigue des plus complexes.

Alors qu'il monte Le Doulos, Melville tourne une adaptation de Georges Simenon toujours avec Jean-Paul Belmondo et Charles Vanel, L'aîné des Ferchaux. "Méditation sur la vieillesse et avant tout méditation sur la solitude" selon les mots du cinéaste, le film voit les rapports troubles d'un vieil industriel en fuite avec un boxeur raté devenu son chauffeur, et qui attend de lui dérober son argent.

Suite aux demandes répétées de José Giovanni, Melville adapte ensuite, mais à sa façon, son Deuxième souffle, qu'il voit comme un vrai film noir. Sur fond de banditisme et de Gestapo française, le cinéaste orchestre une histoire de trahison et d'amitié bafouée tout en évitant l'évocation réaliste du "milieu". Pour Melville, contrairement à ce qu'il est généralement admis, pas d'histoire de code d'honneur qui tienne. Dans ce film éclate également son génie de la direction d'acteurs : Lino Ventura, Paul Meurisse et Raymond Pellegrin s'insèrent à la perfection dans l'univers sobre du cinéaste, qui fait monter inexorablement les rouages de sa tragédie.

Avec Le samouraï, la solitude, les silences, le perfectionnisme de la forme et les héros tragiques de Melville seront poussés jusqu'à l'abstraction. Pour le cinéaste, "Le samouraï est l'analyse d'un schizophrène faite par un paranoïaque", l'histoire d'un "pur" incarné à la perfection par un Alain Delon glacial et triste, et n'obéissant qu'aux rites de son métier de truand. Ouvrant le film par une phrase du Bushido (le code d'honneur des samouraïs) qu'il a lui-même inventée, Melville fait passer dans son film un souffle zen, la stature de Delon marquera d'ailleurs toute l'Asie et de nombreux cinéastes hong-kongais, John Woo en tête qui rêve toujours de retourner le film.

Après ce chef-d'œuvre qui classe le cinéaste comme un créateur totalement à part dans le paysage du cinéma français, Melville adapte L'armée des ombres de Joseph Kessel. Fuyant une nouvelle fois le réalisme et le mélodrame pour un cinéma toujours plus épuré, Melville veut évoquer ses années d'Occupation comme un mauvais souvenir ayant pris avec les années une patine nostalgique, car elles sont celles de sa jeunesse. Alors que Simone Signoret évoque Lucie Aubrac, Melville s'éloigne d'une vision héroïque de la Résistance. Ses personnages sont mus par une communauté d'idées tout en étant sujets à leurs pulsions individuelles. La réputation d'homme difficile et intraitable du cinéaste s'exprimera sur ce film par une totale incommunicabilité entre lui et Lino Ventura, qui se parlaient par intermédiaires.

Ses derniers films clôturent le cycle policier : Le cercle rouge est une somme du "film de casse" volontiers inspiré par le western. C'est une œuvre épousant le caractère de perfectionniste absolu du cinéaste allié à une merveille de distribution : Yves Montand en ancien flic alcoolique et perdu, Bourvil en commissaire, et les deux casseurs joués par Alain Delon et Gian Maria Volonte. Pas de femmes. A la vision du film, on a le sentiment d'assister à une oraison funèbre de l'art melvillien où le cinéaste donne tout. Un flic, son dernier film, souffre ainsi de la comparaison et a longtemps été critiqué pour son style, devenant pour la première fois système. Si l'œuvre est moins forte, restent quelques morceaux de bravoure, comme le casse du début, effectué sur un bord de mer déprimant et battu par la pluie.


En écho
 
Sur le site du Forum des images
Le Paris de Jean-Pierre Melville, par Franck Garbarz

 

Franck Garbarz
22 novembre 2008
mise à jour 23 novembre 2008

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