Parcours
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par Françoise Puaux
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P150 | |||||||
L'Opéra-Mouffe (1958)
collection Paris Île-de-France
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"Et Paris est plus au milieu comme le plexus solaire du corps, un peu plus haut, point vital et nerveux, lieu de respiration
centrale qui se répercute dans tous les lieux majeurs de pulsation : les grandes villes de province." Agnès Varda (1994)
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Sa naissance à Bruxelles de parents franco-grecs fait de cette Parisienne - Agnès Varda réside depuis environ un demi-siècle
dans la rue Daguerre, si bien nommée pour une photographe - une exploratrice du quotidien, glaneuse à ses heures d'impressions
singulières, qui filme volontairement la ville "secrète".
Un passage par l'école du Louvre, le Théâtre National Populaire de Jean Vilar pour lequel elle devient photographe officielle,
de constants allers-retours entre photographie et images animées, cinéma et télévision, documentaires et fictions, courts
et longs métrages, films de commande et films personnels, notes et "carnets de voyage", abolissant toutes les frontières, la définissent comme une authentique pionnière, en marge du cinéma d'auteur de la Nouvelle
Vague - période durant laquelle elle débute ses expérimentations - voire en marge du féminisme pour lequel elle a cependant
œuvré. Cette recherche constante de la fiction derrière la réalité ou de la réalité derrière la fiction ancre son œuvre dans
une perpétuelle réflexion sur l'image. De Paris à Los Angeles, en passant par La Havane, sans oublier Nantes, ville de son
complice Jacques Demy, Sète, la "cocotte d'Azur", Avignon, la Provence sans concession de Sans toit ni loi, Agnès Varda filme volontairement le hors-champ, la ville "secrète", l'envers du décor, tout ce qui ne fait pas "tableau".
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Si pour Varda "en comprenant les gens on comprend mieux les lieux, en comprenant les lieux on comprend mieux les gens", avec son deuxième long métrage Cléo de 5 à 7 (1962), véritable exercice de style tourné en temps réel dans les rues de Montparnasse et le parc Montsouris, elle retrouve
l'expérience d'être une femme dans Paris, avec sa peur de la ville et de ses dangers, peur de la solitude et de la mort. Le
déroulement entre ces deux temps, celui de la prophétie dont prend connaissance Cléo (jeune chanteuse de variétés, interprétée
par la si charnelle Corinne Marchand), dès le générique couleur chez la cartomancienne de la rue de Rivoli, et celui du diagnostic
d'un cancer énoncé par le médecin de La Salpetrière en noir et blanc, intéresse davantage Agnès Varda que l'action elle-même,
elle qui voulait, dès l'origine, montrer Paris "vu par un œil spécial" !
Non seulement cette errance sans fin dans la ville conduit Cléo à sa propre transformation, comme dans un temps suspendu -
ce qu'exprime par l'absurde la division du film en treize chapitres Cléo de 17h05 à 17h08, Angèle de 17h08 à 17h13, etc., indiquant ainsi le point de vue d'autres personnages, Angèle la secrétaire, Bob le compositeur, l'amant, Dorothée
l'amie modèle et son mari Raoul, le projectionniste, Antoine le permissionnaire de rencontre - mais donne à voir aussi le
côté primesautier d'un cinéma de la sensation et de la lucidité. Même si les trajets de Cléo en taxi ou en autobus sont des
trajets réels - en taxi rue Mazarine, rue Huyghens, dans l'immense studio blanc de Cléo aux décors signés Bernard Evein, place
Edgar-Quinet, au café du Dôme, rue Vavin, au parc Montsouris, dans le bus place Verlaine et enfin à l'hôpital de La Salpêtrière
-, on est loin du cinéma-vérité et du documentaire. Ici Varda donne à voir un espace mental, la métamorphose d'un regard que
Cléo va bientôt porter sur le monde. Toute une série d'annotations, de signes mortifères saisis à la volée traduisent l'angoisse
de Cléo, l'accompagnant dans sa première traversée de Paris : le croisement d'un enterrement, l'enseigne A la bonne santé à l'angle de la rue Huyghens et du boulevard Raspail, la boutique de masques africains rue Bonaparte, les bonimenteurs et
autres forains qui se mutilent du quartier Montparnasse, la scène de rupture dans le café, l'entrée du soleil dans le signe
du Cancer...
Le malicieux film muet, tourné sur le pont Mc Donald près de la porte de La Villette, vu de la cabine du projectionniste,
se joue de ses inquiétudes. "Maudites lunettes noires" peut-on lire sur le carton lorsque Godard - ami et collègue de la Nouvelle Vague, devenu acteur pendant une minute trente
pour la circonstance - s'aperçoit que tous les malheurs arrivés à sa jeune femme (Karina devenue "négresse", écrasée, enfin disparue dans un corbillard) ont pour origine ses verres fumés. Question de vision, question de point de
vue ! Car c'est à mi-chemin exactement, à mi-parcours du film que Cléo, ôtant sa perruque et son déshabillé de starlette,
abandonnant le monde de la superficialité - l'essayage chez la modiste, le passage-éclair de l'amant - opte pour une ouverture
sur l'autre. Vêtue d'une simple robe noire, elle peut alors se mettre à voir la ville, prête à accueillir le regard des autres
sur elle, et à rencontrer un soldat en permission de la guerre d'Algérie auquel elle n'aurait pas autrefois prêté attention.
Avec Antoine (Antoine Bourseiller, déjà acteur dans L'Opéra-Mouffe), elle peut partir, au final, à la découverte d'elle-même, dans la simplicité et la profondeur de l'amour.
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Avec Daguerréotypes (1975), Varda décidait de filmer au plus près sa rue, ses voisins et commerçants situés entre le n°70 et le n°90, chez qui
elle tournait reliée par un cordon ombilical - câble de quatre-vingt dix mètres qui ne permettait pas d'éclairer au-delà -
qui la tenait attachée à sa maison de la rue Daguerre et, surtout, à l'enfant qu'elle venait d'avoir avec Jacques Demy. Pour
elle, ce film produit par la ZDF, l'INA et Ciné-Tamaris, "ce n'était pas seulement les gens de ma rue, c'était tout autant ce qui se passait en moi". Comme Cléo, Varda était à l'écoute de sa propre métamorphose comme à l'époque de L'Opéra-Mouffe et de sa rue Mouffetard. Les détails anodins que choisit la cinéaste et qui du coup deviennent très signifiants comme la
vitrine du Chardon bleu, droguerie qui ouvre et ferme le film et dont le propriétaire veille sur Marcelle, sa femme amnésique, apporte la preuve
- si besoin était - du surgissement d'une autre vérité, celle d'une poésie qui entoure et drape le quotidien. Tout comme l'affiche
d'un magicien, Mr Mystag, annonçant son spectacle pour le samedi suivant au café du coin, déclenchait le réveil d'un monde
qui sommeille, celui du petit commerce en voie de disparition, et dont Varda se faisait la discrète porte-parole, moins sociologue
qu'auteur attentif à la différence, captant les gestes, les façons de vivre et de travailler, les échanges d'argent dans ce
lieu si proche.
A l'image de cet illusionniste, qui réside en tout artiste, Varda propose plus qu'un album de quartier : bouchers, boulangers,
quincailliers, coiffeurs mixtes, épiciers, vendeurs d'accordéon, cafetiers vivant en couple, tous venus de leur province,
forment désormais un étrange portrait "stéréo-daguerréotypé". En effet, n'avait-elle pas tenu, au final, à les faire sortir d'eux-mêmes en leur demandant où ils s'étaient rencontrés
et quels étaient encore leurs rêves ? Car le plus frappant dans cet "immobilisme de quartier", dans cette petite communauté liée par les habitudes et l'expérience commune, avait pris la forme de photographies filmées,
les boutiquiers posant eux-mêmes à la fin du film comme figés une fois pour toutes dans les années soixante-dix, mais ô combien
vivants, vibrants "daguerréotypes". D'ailleurs, ne retrouvera-t-on pas la boulangère de la rue Daguerre, Marie Piednoir, dans la série télévisuelle de 1982
Une minute pour une image, commentant une photographie de Robert Doisneau, Le pain quotidien (Paris, 1953), dixième photo de l'album imaginaire d'Agnès Varda ?
Pour un autre très court métrage de commande, et cela bien avant la série Une minute pour une image, ce sont trois minutes de célébration que Varda produit pour les cinquante ans de la Cinémathèque française dans T'as de beaux escaliers... tu sais (1986), sur une musique de Michel Legrand, compositeur attitré de Jacques Demy et qui apparaissait déjà dans Cléo de 5 à 7. Le montage parallèle qu'elle propose des quelques cinquante marches qui montent au musée du Cinéma du palais de Chaillot
et qui descendent vers la salle obscure où sont projetés quelques dix films aux escaliers célèbres choisis parmi le patrimoine
conservé - Juve contre Fantômas, Pépé le Moko, Le cuirassé Potemkine, L'impératrice rouge, Citizen Kane, Ran, Le coup du parapluie, Le mépris, Cover Girl, L'histoire d'Adèle H - anticipe l'hommage qu'elle rendra au septième art, lors de son centenaire en tournant près de Rambouillet Les cent et une nuits (1994-5) et où Michel Piccoli interprètera ce Mr Cinéma auteur, réalisateur et producteur.
Du très court au long métrage, documentaire ou non, Agnès Varda ne cesse d'interroger l'image fixe ou animée, l'instant photographique
comme celui d'Ulysse (1982), cliché pris en 1954 à partir duquel, trente ans plus tard, elle interroge ses propres souvenirs et ceux des personnages
figés une fois pour toutes et qu'elle retrouvera dans une librairie de la rue de Rivoli ou dans le bureau du directeur artistique
du magazine Elle.
Dans Elsa la rose (1965), c'est également à une démarche biographique qu'elle s'attelait (si ce n'est autobiographique : à travers le couple
Elsa Triolet - Aragon qu'elle put filmer au café du Dôme, dans leur appartement de la rue de Varenne et leur maison de Saint-Arnoux-en-Yvelines,
et à qui elle demanda, tout en feuilletant les vieilles photographies d'avant leur rencontre, de rejouer des situations passées,
illustrées par des poèmes d'Aragon lus par Michel Piccoli, comme si le bonheur qu'elle avait essayé de saisir l'année précédente
dans son deuxième long métrage du même nom de 1964, échappait à l'analyse). "Le bonheur n'est pas gai", "c'est une grâce", c'est ce que semble vouloir dire ce jeune couple d'artisans sur fond impressionniste de la "campagne parisienne", Fontenay-aux-Roses, L'Haÿ-les-Roses, Bagneux, Créteil, Mennecy et Verrières-le-Buisson. De ces photos de famille, qu'en
reste-t-il ? Le bonheur ou son apparence ? Pour Varda, la réponse est simple : "L'apparence du bonheur, c'est aussi le bonheur".
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Procédant souvent par doublon comme dans Mur murs (1980), documentaire sur les "murals" de Los Angeles, capitale du cinéma, où Varda donne avant tout la parole à un art anti-officiel, peinture éphémère et hyperréaliste
d'une société plutôt que reportage sur des artistes en mal de reconnaissance, et Documenteur (1980-81), journal "obsessif" d'une Française et de son enfant - interprété par Mathieu Demy - en exil dans une ville anonyme, la cinéaste qu'elle est
a le désir de donner la réplique en creux à chaque nouvelle oeuvre qu'elle aborde. Procédant par détours de l'inspiration,
elle décide de faire un film sortant d'un autre, tourner Kung Fu Master ! (1987) à la suite de Jane B. par Agnès V. Ce "portrait en cinéma" de Jane Birkin, tourné dans sa maison du 16e arrondissement, est aussi semé de mini-fictions, collage d'entretiens, de reportages
sur ses lieux de prédilection entre Paris, Fontainebleau, Ermenonville, Bruges et Knokke-le-Zoute. Ce portrait "autour" de Jane est un faux autoportrait, ni tout à fait celui de Jane, ni tout à fait celui d'Agnès, mais celui de l'artiste et
de son modèle. Dans cette femme proche de la quarantaine, l' "héroïne" de Kung Fu, qui s'amourache d'un camarade de sa fille (interprétée par Charlotte, sa propre fille, Julien n'étant autre que
Mathieu Demy, le fils d'Agnès Varda), il y a la recherche de sa propre adolescence parisienne ou londonienne, de l'esprit
d'enfance filmée en miroir, celle d'Agnès/Jane sur fond de salles de jeux vidéo. Une image sur une autre image, celle d'une
nomade sur fond de paysages urbains, perpétuelle glaneuse qui trouve en cet inconnu du boulevard Edgar-Quinet s'alimentant
directement à partir du terroir urbain - les étals abandonnés couverts de déchets - son frère de cinéma. Car si sous les pavés
ne se trouvait plus la plage, mais un jardin maraîcher aux fruits abondants, Varda, glaneuse autant par les mains de monteuse
que par l'œil de cinéaste, récolterait, pour mieux l'offrir au spectateur, le fruit de son travail.
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Paris-photo | |||||||
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Le Paris de la Nouvelle Vague, par Jean Douchet | |||||||
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Un siècle de documentaires | |||||||
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Françoise Puaux
Docteure d'Etat ès-lettres (littérature et cinéma), rédactrice en chef de CinémAction pour laquelle elle a notamment dirigé Architecture, décor et cinéma, La marginalité à l'écran et Le machisme à l'écran, Françoise Puaux est également conseillère éditoriale de la collection 7ème Art aux éditions du Cerf-Corlet.
novembre 2004
mise à jour 28 novembre 2008
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