Parcours
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par Anne Huet
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P140 | |||||
Michel Piccoli dans Je rentre à la maison
collection Paris Île-de-France
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Manoel de Oliveira, réalisateur portugais à l'œuvre prolifique, est profondément attaché à son Porto natal, mais également
à Paris, où se situent deux de ses derniers films : La lettre (1999) et Je rentre à la maison (2001). Dans chacune de ces œuvres, Paris est représentée non seulement comme un modèle de la société occidentale, mais aussi
comme une ville intemporelle, presque une abstraction.
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Depuis 1981, avec le film Francesca, Paulo Branco est le producteur de tous les films de Manoel de Oliveira, faisant participer la France pour moitié au financement. Lui-même
d'origine portugaise, il travaille en partie en France, estimant que les conditions de production y sont plus favorables.
Depuis plus de vingt ans, Paulo Branco produit des films d'auteur en conservant un pied à Lisbonne et l'autre à Paris.
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Manoel de Oliveira souhaitait filmer en France pour témoigner de la gratitude qu'il avait à l'égard de ce pays qui soutient
son œuvre depuis de nombreuses années. En effet, il a bénéficié d'une reconnaissance très précoce de son travail par la critique
française, principalement par les Cahiers du cinéma et Positif. Dès 1931, Émile Vuillermoz écrit une critique élogieuse pour
Radio magazine de Douro, travail fluvial qui fait dire au cinéaste que sans lui sa carrière cinématographique se serait arrêtée là. Plus tard, au moment du film Amour de perdition, les projections à Florence puis à Paris sauveront le cinéaste du discrédit auprès de ses compatriotes.
En 1982, Manoel de Oliveira entreprend son premier tournage en France, à Nice. Il s'agit de Nice, à propos de Jean Vigo. Puis il filme au Havre en 1986, Mon cas, et sur la Garonne, en 1999, une séquence de Parole et utopie.
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Ses contacts avec des comédiens français (Marie-Christine Barrault, Bulle Ogier, Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Antoine Chappey, etc.) sont bien antérieurs à ses deux films tournés à Paris, La lettre et Je rentre à la maison. Oliveira n'est pas allé chercher ces acteurs à proprement parler. Ces rencontres sont plutôt le fruit du hasard, de propositions
de Paulo Branco, ou bien des réponses à des exigences de productions avec la France qui réclamaient des comédiens nationaux.
En revanche, Je rentre à la maison a été écrit pour Michel Piccoli.
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La lettre est le premier film qu'Oliveira ait tourné à Paris : il semble que le réalisateur ait choisi cette ville car elle représente
vraiment pour lui le symbole de la culture et du modernisme.
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Par la suite, les quelques lieux choisis n'apportent que des repères dans Paris : l'abbaye et le hall de l'hôpital de Port-Royal,
le jardin du Luxembourg et quelques rues. La majeure partie du film se déroule en intérieur. Cette vision de la capitale lui
ôte toute contemporanéité : seuls quelques plans de rues avec les voitures qui circulent, comme lors de l'accident du duc
de Guise fauché par un véhicule, ramènent à une certaine modernité.
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La vision de Paris que propose Oliveira dans La lettre est très proche du film de Robert Bresson Les dames du bois de Boulogne (1945). L'intrigue aussi bien que le traitement de l'histoire, le filmage très sec et les images mates rapprochent les deux
auteurs. Il est intéressant de noter que le chef-opérateur de La lettre, Emmanuel Machuel, se trouve être celui du dernier film de Robert Bresson, L'argent.
Les deux dames du bois de Boulogne habitent square du Port-Royal (le même quartier que La lettre). Tout comme la princesse de Clèves (Chiara Mastroianni), Agnès va lutter contre ses propres sentiments pour ne pas succomber
à la tentation d'un homme, annonciateur de malheurs. La princesse de Clèves, mariée, puis libre après la mort de son mari,
est persuadée que le chanteur de charme dont elle est éprise la conduira à sa perte. C'est auprès d'une religieuse de l'abbaye
janséniste de Port-Royal qu'elle va se confier.
Deux lieux bucoliques sont des endroits symboliques de rencontres amoureuses, pour Oliveira comme pour Bresson. Dans La lettre, c'est dans le jardin du Luxembourg que la princesse de Clèves avoue à son mari son amour pour un autre. Plus tard, c'est
là aussi qu'elle est tentée de revenir une fois veuve et qu'en effet le chanteur l'attend. Dans le film de Bresson, les cascades
du bois de Boulogne sont le lieu de rencontre et le début de l'idylle.
Les deux réalisateurs n'utilisent que quelques "lieux-repères" de la ville et favorisent les scènes d'intérieur, ce qui confère à leurs films cette intériorité si spécifique. En revanche,
dans Je rentre à la maison, Oliveira a davantage porté son choix sur des lieux précis de la capitale.
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Gilbert Valence (Michel Piccoli) est un acteur célèbre qui voit tout s'écrouler autour de lui le soir où, à l'issue d'une
représentation, on lui apprend la mort de sa femme, de sa fille et de son gendre dans un accident de la route. Resté seul
avec son petit-fils, il reprend peu à peu goût à la vie grâce à son travail. Il accepte de remplacer au pied levé un comédien
pour une adaptation en anglais de Ulysse de Joyce. Mais ses difficultés d'acteur sont grandes et, humilié, il quitte le plateau en disant : "Je rentre à la maison".
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Michel Piccoli se rend quotidiennement dans une brasserie typiquement parisienne pour y boire un café et lire son journal.
Chaque jour nous assistons au combat de Libération et du Figaro par des jeux de chaises entre Piccoli et un autre habitué.
Non loin de ce café se trouve un manège ; un orgue de Barbarie égraine la chanson Sous le ciel de Paris. Ce lieu et les habitudes des Parisiens donnent un côté rétro à la capitale, à la Jacques Tati. Ce café choisi presque par
hasard, un autre dans le quartier de Montparnasse ayant fait défaut au dernier moment, donne l'occasion au réalisateur de
filmer la statue de la République dans un long plan magnifique qui englobe la "République", vue ici comme l'incarnation de la liberté.
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Pour montrer que le comédien reprend goût à la vie et qu'il cherche quelques consolations, à plusieurs reprises nous voyons
Michel Piccoli faire des achats et regarder les vitrines des magasins. Paris capitale de la mode ? En tout cas, les grandes
villes sont représentatives pour Manoel de Oliveira de la société de consommation et de lieux d'agression. Dans La lettre, un clochard faisait la manche. Là encore, alors que Gilbert Valence rentre chez lui, il se fait dépouiller par un drogué
qui le menace avec une seringue. Le lendemain, Manoel de Oliveira fait dire à son personnage que toutes les grandes villes
comme Paris, Londres et Madrid ne sont plus sûres. D'ailleurs, Gilbert Valence habite en banlieue dans une maison traditionnelle
avec jardin, au calme.
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Conversations avec Manoel de Oliveira, Antoine de Baecque et Jacques Parsi, Cahiers du Cinéma, 1996
Manoel de Oliveira, cinéaste portugais du XXe siècle, Jacques Parsi, Centre culturel Calouste Gulbenkian, 2002, coll. Arts du spectacle
Manoel de Oliveira, ouvrage collectif, Cinémathèque portugaise, 1981
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Anne Huet
Anne Huet a dirigé le cinéma Le République à Paris, alors que le producteur portugais Paulo Branco en était le propriétaire. Tous les films de Manoel de Oliveira y
étaient programmés. En 1998, elle a été chargée de la ressortie en copie neuve du film Francesca (1981).
mai 2003
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