LE PORTAIL DES FILMS
SUR PARIS ET LA REGION ILE-DE-FRANCE

 

Île de France

Mairie de Paris

 

Parcours
Le Paris de Jean-Pierre Melville
par Franck Garbarz
P138
Le cercle rouge
collection Paris Île-de-France
Réalisateur inclassable, travaillant au sein d'un cinéma de genre tout en signant d'authentiques films d'auteur, Jean-Pierre Melville s'est approprié Paris comme principal décor urbain de ses polars. Parfois nostalgique d'un Paris populaire à la Julien Duvivier, le cinéaste fait de la capitale une ville tantôt hostile et menaçante, tantôt fantomatique et glaçante.


Paris nostalgie
Grand cinéphile avant même d'être cinéaste, Jean-Pierre Melville rend hommage, dans ses premiers films, au réalisme poétique des années trente et à la gouaille typiquement parisienne des œuvres de Julien Duvivier, Jean Renoir ou Marcel Carné. Dès Les enfants terribles (1949), le réalisateur recrée un Paris de studio à la manière des cinéastes d'avant-guerre : la scène de la bataille de boules de neige entre collégiens, qui se déroule cité Monthiers (9e), fait songer aux éclairages stylisés de La belle équipe (1936) de Duvivier et d'Hôtel du Nord (1938) de Carné.

Bob le flambeur
Dans Bob le flambeur (1956), c'est Montmartre qui semble être le protagoniste du film : comme Duvivier dans La tête d'un homme (1933) ou Renoir dans Le crime de monsieur Lange (1935), Melville nous plonge d'entrée de jeu au cœur d'un vieux quartier parisien qui palpite tout autant que les personnages. La caméra arpente les rues au petit matin, éclairées d'une lueur blafarde, cadre les enseignes lumineuses et s'immisce dans le café Carpeaux ou la brasserie Junot (18e) où s'attardent les habitués. D'un appartement parisien donnant sur le Sacré-Cœur à l'atmosphère enfumée d'un cabaret de Pigalle, c'est l'âme du vieux Paris des faubourgs - dont Montmartre est sans doute la quintessence - qui resurgit à l'écran. On ne s'étonnera donc pas que le cinéaste ait confié le rôle-titre à Roger Duchesne, ancien acteur d'avant-guerre, qui évoque à lui seul une époque révolue. Décidément, il émane de Bob le flambeur un charme empreint de nostalgie pour ce Paris en voie de disparition et ses mauvais garçons à l'accent "titi parisien" qui hantaient le cinéma français des années trente.


L'ombre du polar
Le Doulos
Si, on l'a dit, Melville est cinéphile, il est plus encore amateur de films noirs. Fasciné par Quand la ville dort (1950) de John Huston et le polar américain en général, il investit la capitale comme l'archétype même du cadre nocturne urbain. Tout y est : des ruelles mal éclairées aux tripots enfumés, d'un hôtel de passe miteux à l'inévitable quai des Orfèvres (1er), des flics avares de parole aux truands arborant feutre et cigarette au bec - Melville plante le décor en quelques instants à peine. Dans Le Doulos (1962), c'est le pavillon d'une banlieue sinistre, aux murs délabrés, qui, dès le début du film, sert de cadre au meurtre de Varnove par Faugel : tandis qu'on entend au loin le sifflement d'un train, la lampe du plafond décrit de grands cercles et projette des ombres portées sur les murs et au-dessus du cadavre, dans la plus pure tradition expressionniste du film noir américain. Bien entendu, on traverse par la suite d'autres lieux clés qui obéissent aux codes topographiques du polar : le "petit meublé" qui tranche singulièrement avec une riche demeure de Neuilly-sur-Seine, un cabaret de Pigalle à l'atmosphère jazzy et au nom évocateur (Cotton club), ou encore un commissariat, reproduction fidèle du bureau de la police des Carrefours de la ville (1931) de Rouben Mamoulian. Avec Melville, Paris semble n'être plus habité que par les truands et les flics, comme si la ville elle-même se résumait à un décor de polar.

On retrouve dans les œuvres ultérieures du réalisateur les mêmes personnages, les mêmes lieux emblématiques et ce même univers masculin de solitude qui ne souffre pas la moindre relation d'amour ou d'amitié. Cette récurrence confine parfois à l'obsession, à l'image des cabarets qui ponctuent la filmographie parisienne du cinéaste : des Naturistes et du Pigall's de Bob le flambeur au Cotton club du Doulos, du Martey's du Samouraï (1967) au night-club du Cercle rouge (1970) et à la boîte de nuit de Un flic (1972), ces lieux de plaisir où se réfugient policiers et malfrats n'invitent pourtant guère à la réjouissance.


Attention : danger
Le doulos
Avec Jean-Pierre Melville, Paris n'est pas à la fête. Loin de l'image de ville-lumière véhiculée par plusieurs cinéastes, la capitale apparaît bien plutôt comme une cité qui fait peser sur les personnages une sourde menace. Au début du Doulos, Faugel (Serge Reggiani), à peine sorti de prison, se retrouve perdu dans un paysage industriel de voies ferrées que frappe une lumière crue : cette séquence d'ouverture est en réalité annonciatrice du film tout entier. Qu'il se réfugie dans un pavillon à l'abandon ou qu'il erre dans les rues, Faugel n'est jamais en sécurité : poursuivi par ses anciens complices ou pris en chasse par la police, il ne peut échapper longtemps à la grande ville qui semble être devenue une prison grandeur nature. On retrouve, dans Le samouraï, le même décor de voies ferrées reliées à la gare d'Austerlitz, qui donne au film l'aspect saisissant d'un western urbain : là encore, le protagoniste qu'interprète Alain Delon est soudain à découvert et plus que jamais vulnérable.

Avec L'armée des ombres (1969), l'un des rares films de la période qui n'appartient pas au polar, le danger est omniprésent. Chronique de la Résistance, le film retrace le parcours d'hommes constamment sur le qui-vive et contraints à la clandestinité. Convoqué à l'hôtel Majestic de la rue de Rivoli par la Gestapo ou arpentant les rues désertes de Paris à la recherche d'un lieu où se réfugier, Gerbier (Lino Ventura) manque à chaque instant de se faire arrêter. Et de même que les grands ensembles de voies ferrées du Doulos et du Samouraï, l'espace clair et dégagé de la gare de Lyon n'assure aucune sécurité à Jardie (Jean-Pierre Cassel), pas davantage que les ruelles froides où rôdent les soldats allemands.


Paris désincarné
Le samouraï
A mesure que Melville avance dans sa carrière, son cinéma tend de plus en plus vers le dépouillement. A l'image des dialogues, réduits à l'essentiel, et des images aux couleurs désaturées, la représentation de la capitale semble déshumanisée. Dans Le samouraï, placé sous le signe d'une (fausse) citation extraite du Bushido ( "II n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï"), Alain Delon, tueur professionnel au visage impassible, traverse une ville aux teintes grises et bleutées comme une ombre : les extérieurs - les rues de Paris battues par la pluie - semblent dépeuplés et les intérieurs - un commissariat, un cabaret, un immeuble de la rue Lord Byron (8e) - sont purement fonctionnels. C'est ainsi que le décor du night-club Martey's est quasi clinique - impression renforcée par les gants de chirurgien que porte Delon. Trois ans plus tard, on retrouve dans Le cercle rouge le même Paris désincarné, plus fantomatique encore : les rues désertes au petit matin près de la place Vendôme semblent enveloppées dans une sorte de grisaille qui contamine les intérieurs - comme les bureaux des policiers du quai des Orfèvres ou la boîte de nuit, aux teintes aussi froides que celle du Samouraï.

Dans Un flic (1972), la période de Noël rend - paradoxalement - la ville plus glaciale encore. Les lieux parcourus par les personnages tracent une géographie parisienne sinistre : un hôtel de passe miteux à Pigalle où repose un cadavre, un intérieur bourgeois décadent où un jeune homme mineur se livre à la prostitution, une boîte de nuit sans âme, rue d'Armaillé (17e), ou encore le commissariat d'un immeuble ultra-moderne, strictement fonctionnel. Même l'Institut médico-légal, quai de la Rapée (12e), ne semble pas plus morbide que les cabarets cliniques qu'affectionne Melville. Le visage hiératique, Alain Delon, plus minéral que jamais, s'inscrit parfaitement dans cette atmosphère fantomatique.


Filmographie sélective
Réalisations
de Jean-Pierre Melville
avec Lino Ventura
1969, 2h17min
de Jean-Pierre Melville
1956, 1h38min
de Jean-Pierre Melville
avec Alain Delon
1970, 2h14min
de Jean-Pierre Melville
avec Jean-Paul Belmondo
1962, 1h44min
de Jean-Pierre Melville
1949, 1h41min
de Jean-Pierre Melville
avec Alain Delon
1967, 1h45min
de Jean-Pierre Melville
avec Alain Delon
1972, 1h35min
Rôle
de Jean-Luc Godard
avec Jean-Paul Belmondo
1959, 1h26min
Documentaires
Jean-Pierre Melville, série Cinéastes de notre temps
de André S. Labarthe
1971, 52min
"Le Doulos" de Jean-Pierre Melville, Analysé par Bamchade Pourvali, série Cours de cinéma à l'INHA
réalisation Forum des images
retransmission, 2007, couleur, 53min
En écho
Sur le site du Forum des images
Jean-Pierre Melville : une petite biographie, par Franck Garbarz

 

Le Paris de Jean Renoir, par Claude Gauteur

 

Le Doulos, par Francis Marmande

 

Films policiers

 

Franck Garbarz
Rédacteur à la revue Positif, Franck Garbarz a notamment participé à l'ouvrage Paris au cinéma (Parigramme, 2003).
avril 2004
mise à jour 5 janvier 2009

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