Parcours
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par Roberto Zemignan
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P128 | |||||
Marguerite Duras dans La caverne noire
collection Paris Île-de-France
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Le rendez-vous entre Paris et le cinéma de Marguerite Duras se précise tard. Lieu où se mêlent œuvre artistique et engagement
politique, Paris est montré par Duras sous un aspect inconnu car saisi par un regard différent.
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Dans l'après-guerre, divorcée d'Antelme (auteur de L'espèce humaine, l'un des témoignages les plus émouvants sur les camps de concentration nazis), son appartement deviendra le lieu de rencontres
d'un groupe d'intellectuels de gauche, connu sous le nom de groupe de la rue Saint-Benoît, parmi lesquels on croise Edgar Morin, Jorge Semprun, Maurice Merleau-Ponty et de temps à autre George Bataille et Maurice
Blanchot.
A l'automne 1960, elle sera parmi les signataires du Manifeste des 121 (proposé par Mascolo, Blanchot et Jean Schuster),
qui prennent position contre la guerre d'Algérie. En Mai 68, elle se trouve à nouveau en première ligne, cette fois à côté
des étudiants contestataires, comme si cette révolution était en quelque sorte la sienne, déjà présente dans le renouvellement
qui accompagne son écriture. Ainsi, la "folie de mai" donne la marque originale de son cinéma, qui s'annonce dans son premier film tourné en 1969, au titre symbolique : Détruire, dit-elle (La musica, réalisé en 1966, était une coréalisation en collaboration avec Paul Seban). C'est le "bonheur de la désobéissance", comme elle définira ses engagements dans les luttes politiques, qui avait à voir, selon elle, avec la période "sauvage" et libre de l'enfance.
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" […] Je suis complètement séparée de mon enfance. Et, dans tous mes livres, elle est là, dans tous mes films, l'enfance est
là. Je crois que ces gens qui sont avec nous, ces amis, qui sont tous nés en France, dans des pays accessibles, ne peuvent
pas comprendre cette situation-là, d'être sans pays natal. Je ne me sens pas française." (Marguerite Duras, Les yeux verts, Cahiers du Cinéma, 1980 et 1987).
Au-delà de la mythologie de l'enfance, thème irradiant toute son œuvre, cette affirmation de Duras résume bien les éléments
qui fondent son univers cinématographique. La séparation qui habite les êtres devient, à partir de La femme du Gange (1972-73), le principe stylistique de son cinéma. Composé de 152 plans fixes, le film est conçu par la cinéaste comme s'il
était fait de deux films autonomes : celui des images et celui des voix. Ainsi, à travers un montage de type disjonctif, c'est
l'intervalle qui est essentiel pour elle car il ouvre, face aux spectateurs, un espace vide dans lequel le sens résonne, sans
avoir pourtant aucun lieu où prendre place. Cette dissociation entre bande-image et bande-son, Duras continuera à la décliner
sous différentes formes : entre les corps - muets - qui occupent l'image d'India Song (1974) et leurs voix renvoyées dans le hors champ d'où elles parlent, entre sa voix d'auteur en train de lire le récit et
une image complètement noire pendant trente minutes - sur une durée de quarante-deux - limite extrême atteinte dans L'homme Atlantique (1981). Cette norme esthétique, qui mine les mécanismes de la représentation cinématographique, devient à son tour principe
idéologique, car elle parvient à ébranler les bases du cinéma dit narratif, sans pourtant démentir la narration.
Ensuite, si l'on revient à ce même aveu, l'impossibilité de Duras à se sentir française est présente dans l'effacement toujours
renouvelé de toutes sortes de frontières identitaires, dans sa vie comme dans son travail. La multiplicité des activités qu'elle
pratique - littérature, journalisme, théâtre, cinéma - transforme en profondeur son écriture, jusqu'au mélange des genres
auxquels elle soumet ses œuvres, au point de sous-titrer le livre India Song (1973) "texte-théâtre-film". Duras ne fait que réécrire, incessamment, le déjà-écrit, en le déplaçant dans des formes nouvelles. On peut citer le bal
mythique d'Anne-Marie Stretter avec son jeune amant Michaël Richardson - présents dans le roman Le ravissement de Lol V. Stein (1964) - qui est à l'origine du célèbre "cycle indien" formé, au cinéma, par La femme du Gange, India Song et Son nom de Venise dans Calcutta désert (1976).
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La rencontre avec Paris arrive tard. Le Palais Rothschild au Bois de Boulogne, en état avancé de ruines (pour avoir logé
Gœring sous l'occupation nazie), deviendra pour Duras le lieu idéal pour donner vie aux fantômes qui sont au cœur d'India Song. Son cinéma subit l'attrait, la fascination pour des lieux qui conservent les traces des histoires des êtres mêlées à l'Histoire
des peuples. C'est ce défi qu'elle impose à la caméra, après l'avoir maîtrisé dans la littérature : rendre évident le temps
qui s'écoule à travers l'espace qui le fige. Pour y arriver, elle adopte un regard poreux, ouvert à d'autres traversées qui
ne s'inscrivent pas forcément dans les seules images. Dans cette perspective, Son nom de Venise dans Calcutta désert reste son film le plus important. Peu de temps après le succès d'India Song (prix de l'Association Française des cinémas d'art et d'essai à Cannes 1975), elle revient sur les lieux du tournage - de
plus en plus délabrés - avec une équipe technique réduite au minimum et la bande-son de son film pour filmer "l'oubli d'India Song" (Marguerite Duras, Le cimetière anglais), effacement du film dans la mémoire de la parole qui le réaffirme.
Ce regard différent s'impose, aussi, dans le choix et la direction des acteurs au cinéma comme au théâtre. Parce qu'elle est
déracinée de sa terre natale, Duras peut, dès son arrivée à Paris, développer un regard autonome sur les êtres qui l'entourent.
C'est cette vision désenchantée qui l'encourage à se servir d'acteurs célèbres pour les détourner de leurs images de stars
et ainsi pousser les spectateurs à découvrir des possibilités autres dans leur jeu : de Jeanne Moreau et Lucia Bosè dans Nathalie Granger (1972), en passant par Gérard Depardieu dans Le camion (1977), jusqu'à Madeleine Renaud dans Des journées entières dans les arbres (1976, prix Jean Cocteau) et dans la pièce Savannah Bay (1982) que Duras écrit pour elle - et qu'elle jouera au théâtre du Rond-Point sous sa direction (1983).
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L'imaginaire artistique de Duras est hanté par la ville, espace ouvert à l'altérité, frontière glissante vers d'autres souvenirs.
Toujours prise dans la trace de l'autre (Hiroshima-Nevers, Calcutta-Venise, Paris-Athènes, Paris-Césarée, Rome-Césarée, pour
en rester seulement à quelques exemples), du fond d'une narration la ville devient superficie interactive d'une émotion à
remémorer. Les mains négatives, Césarée, Aurélia Steiner vont tous dans cette direction, en amalgamant aux images de la capitale histoires d'amours impossibles et traumatismes de
l'Histoire des peuples du XXe siècle (l'horreur de la Shoah, l'esclavage moderne, la violence du pouvoir). Ce faisant, Paris
devient le lieu originaire d'une rencontre qui n'a plus de temps, le terrain d'une liberté totale où chaque voix résonne dans
l'écho de l'autre.
"[…] Qui dira assez la beauté de Paris en toutes saisons, pendant les dimanches d'été, les nuits d'hiver quand les rues redeviennent
sauvages, des routes. Aucune ville au monde n'est bâtie comme elle l'est avec ce luxe inouï d'espaces clairs. Toute une partie
est à l'égal de Versailles dans la répartition des monuments. C'est en été que le fleuve apparaît dans sa pleine beauté, avec
ses ombrages, ses jardins, les grandes avenues qui en partent ou qui le longent, les pentes des collines douces qui surplombent
de partout, de l'Etoile, de Montparnasse, de Montmartre, de Belleville. Le plat de la ville n'est qu'au Louvre suite à la
Concorde. Et dans les îles." (Marguerite Duras, La vie matérielle, POL, 1987).
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Détruire, dit-elle
de Marguerite Duras
1969, 1h30min
Nathalie Granger
de Marguerite Duras
1972, 1h23min
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Paris est un roman | |||||||
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Paris, Mai 68 | |||||||
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Le Paris d'Alain Resnais, par Franck Garbarz | |||||||
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Roberto Zemignan
Enseignant, titulaire d'un DEA d'études littéraires et cinématographiques, Roberto Zemignan est l'auteur d'une monographie
sur le cinéma de Marguerite Duras parue en Italie (Unipress, 1994) ainsi que d'autres articles sur le cinéma d'auteur.
Juillet 2004
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