LE PORTAIL DES FILMS
SUR PARIS ET LA REGION ILE-DE-FRANCE

 

Île de France

Mairie de Paris

 

Parcours
Les toits de Paris
par Thierry Paquot
P112
Boulevard de Julien Duvivier
collection Paris Île-de-France
Décor de courses-poursuites ou de séquences oniriques, les toits de Paris ont inspiré de grands classiques du cinéma et aussi de nombreux films plus méconnus que nous vous proposons de découvrir.


Poétique des toits parisiens
Paris qui dort de René Clair
Qui n'est pas charmé par la vue panoramique de la capitale depuis la tour Eiffel, le haut de Montmartre ou la terrasse du Centre Pompidou ? Il existe, incontestablement, une poétique des toits parisiens que les cinéastes s'empressent de filmer. Le revêtement de zinc donne aux toits de Paris une unité que vient rompre les heureux accidents d'échelle entre les bâtiments et que renforce la relative homogénéité des hauteurs. Paris est une ville basse d'où émergent quelques brassées de tours, dans le treizième arrondissement, à Belleville et sur le Front de Seine. Les immeubles haussmanniens, ou appelés ainsi, possèdent des toits mansardés qui sont réservés aux chambres de bonnes. Y logent, à l'origine, les employées des familles bourgeoises des autres étages, mais aussi des étudiants, des apprentis et des artistes obstinément méconnus…

La fenêtre d'une mansarde donne à voir la ville comme une image de télévision, cadrée, pas toujours nette, mais attachante et mystérieuse. La vue aérienne de la ville lui confère, à la fois, une puissance proche du vertige et un calme digne d'un lac étal, silencieux et romantique. Pourtant, un rien suffit à briser cette immobilité et à démultiplier le tumulte de la ville : l'éclair au loin d'un néon qui déchire la nuit, la cavalcade d'un groupe de tagueurs, la pluie frappant les pentes des toits de ses coups répétés… Bref, le toit se transforme en théâtre pour des ombres chinoises aux destins incontrôlés. Le cinéma n'oublie pas sa filiation avec la lanterne magique et n'hésite pas à faire du toit un haut lieu de ses délires.

Décor de courses-poursuites entre gendarmes et voleurs (Le voleur de paratonnerres, Paul Grimault, 1945), chambre improvisée pour un couple d'amoureux (Paris qui dort, René Clair, 1923), terrain d'actions terroristes (Pierrot le fou, Jean-Luc Godard, 1965), aire inattendue pour pique-niquer (Le locataire, Roman Polanski, 1976), jouer du violoncelle (Delicatessen, Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, 1991) ou somnambuler (Mille millièmes, Rémi Waterhouse, 2002), le toit participe symboliquement à la saisie du cosmos et permet d'embrasser d'un regard fier et conquérant la ville entière, ses dômes, ses bulbes, ses clochers et parfois de découvrir des jardins suspendus, des cabanes incongrues, des excroissances plus ou moins légales.


Intérieurs / extérieurs
Le jour se lève de Marcel Carné
Le cinéphile ne manquera pas de s'intéresser à la personne d'Alexandre Trauner, talentueux décorateur des films de Marcel Carné (1906-1993), mais aussi de Claude Berri (Tchao-Pantin, 1983) ou de Luc Besson (Subway, 1985). L'incroyable diversité des formes des toits n'échappe pas au décorateur de cinéma qui sait reconstituer en studio des décors nécessairement trompeurs…

Qu'on songe à Sous les toits de Paris (René Clair, 1930), Le million (René Clair, 1930), Hôtel du Nord (Marcel Carné, 1938), Le jour se lève (Marcel Carné, 1939), La nuit fantastique (Marcel L'Herbier, 1941), Seul dans la nuit (Christian Stengel, 1945), Les portes de la nuit (Marcel Carné, 1946), Gervaise (René Clément, 1955), Notre-Dame de Paris (Jean Delannoy, 1956), Pot-Bouille (Julien Duvivier, 1957) et bien d'autres films d'époque (dits "en costumes" ) ou contemporains, policiers ou sentimentaux. A chaque fois, les toits sont entraperçus et les scènes dans les mansardes courtes et secondaires par rapport à l'intrigue, comme dans Un Américain à Paris (Vincente Minelli, 1951).

Il en est de même pour les scènes tournées en plein air, elles utilisent bien souvent le toit ou la mansarde juste le temps d'une prise comme dans Ascenseur pour l'échafaud (Louis Malle, 1957) ou encore dans deux séquences de Paris vu par… (Jean Rouch, Jean Douchet, 1965). Dans Paris au mois d'août (Pierre Granier-Deferre, 1965), les personnages interprétés par Charles Aznavour et Susan Hampshire s'installent sur les rebords du toit pour tendrement s'aimer alors que ceux de La grande vadrouille (Gérard Oury, 1966) s'enfuient sur les splendides toits de l'opéra afin d'échapper aux soldats allemands provoquant le rire des spectateurs. Ce comique de situation est absent de la pathétique scène entre Laurent Terzieff et Bernard Fresson - il s'agit d'une menace de suicide - dans La prisonnière (Henri-Georges Clouzot, 1968)…

Les cascades se multiplient dans Fantômas (André Hunebelle, 1964) où Jean Marais, agile et téméraire, semble voler d'un toit à un autre ; Peur sur la ville (Henri Verneuil, 1974) avec un Jean-Paul Belmondo acrobate ; Nuits rouges (Georges Franju, 1974) ou encore Frantic (Roman Polanski, 1987). Dans ces films d'action, les personnages bondissent d'un toit à un autre (Yamakasi, Ariel Zeitoun, 2000), brisent des verrières, se rattrapent à des corniches ou à des gouttières (Panique, Julien Duvivier, 1946), s'accrochent à un câble arrimé à un hélicoptère (La fille de l'air, Maroun Bagdadi, 1992). Le paysage chaotique des toits renforce la sensation de tension, de malaise, de suspense que ressent le spectateur.


Vu du toit
Irma Vep d'Olivier Assayas
Avec Un monde sans pitié (Eric Rochant, 1989), le héros, comme par magie, éteint les lumières de la tour Eiffel et plonge la ville entière dans la nuit, pour étonner sa jeune conquête. La mandragore (Aziz Lamzouri, 1990), court métrage de qualité, découvre les toits du Xe arrondissement alors que dans Août (Henri Hervé, 1991) Paris est observé depuis La Défense, dont la froideur des tours vitrées est renforcée par l'absence d'activité : c'est l'été, la nuit, les vacances...

18, rue Popincourt (Pascal Lauthier, 1991) raconte l'histoire des habitants d'un immeuble du XIe arrondissement avec un humour non dénué de causticité. Tandis qu'avec Chacun cherche son chat (Cédric Klapisch, 1995), pas nécessairement de gouttière, une nouvelle urbanité se déploie dans un quartier en totale reconversion - celui de la Bastille. Dans La haine (Mathieu Kassovitz, 1995), le trio banlieusard effectue une virée bien mouvementée dans la capitale et se pose, au lever du jour, sur ses hauteurs et philosophe face à cette mer de maisons, de monuments, de réseaux au repos.

Un repos qui annonce la tempête ! Irma Vep (Olivier Assayas, 1996) détourne les Fantômas de Feuillade et ne peut pas éviter une scène de toit pour conforter sa parodie ! Le rythme saccadé produit par la caméra sur l'épaule procure à Louise (Siegfried, 1998) un tremblé, une excitation que renforce la course sur les toits de l'opéra ou sur des toits plus ordinaires que parcourt sans répit Elodie Bouchez.

Avec Peut-être (Cédric Klapisch, 1999), Paris est une ville entièrement ensablée, nous sommes en 2070 et les toits des immeubles cossus du XIXe siècle sont accessibles depuis les pistes qu'empruntent de drôles d'équipages. On se dit que la plage est bien vaste et la mer bien loin, mais les toits, greniers, cheminées et autres mansardes ne représentent plus le danger, mais l'épuisement d'une société endormie.


Rêve de toit
Va savoir de Jacques Rivette
L'affiche de Va savoir (Jacques Rivette, 2001) représente Jeanne Balibar ouvrant un vasistas de manière bien espiègle, comme préparant une blague. La confusion de la réalité et de la fiction ? La théâtralité du quotidien ? La spectacularisation de la ville ?

Un film mérite, dans cette brève sélection, une mention spéciale, c'est Boulevard (Julien Duvivier, 1960). Jean-Pierre Léaud, qui se réfugie régulièrement sur le toit de l'immeuble où il habite, seul et cafardeux, une mansarde, y décrit avec passion les toits de Paris et plus particulièrement ceux du quartier Pigalle. Il déclare, à la jeune Marietta, qu'il aimerait s'installer "sous une tente avec un jardin et Paris, là, tout autour…" . Rêve de toit ? Rêve d'un rebelle mal-aimé ? Etre sur le toit au plus haut de la ville et la contempler pour se convaincre de la vanité du monde…


Documentaires
Chambre de bonne de Maija-Lene Rettig
Parmi les documentaires, les actualités Gaumont offrent des vues des toits de Paris, comme lors de L'atterrissage de l'aviateur Gilbert sur celui d'une fabrique à Javel en 1914 ou, en 1919, de l'aviateur Védrines sur les Galeries Lafayette… On regardera avec intérêt La restauration des toits à l'époque haussmannienne à Paris (Henri-Louis Poirier, 1996) qui nous révèle - sans bavardage inutile - les secrets des compagnons charpentiers, bien plus instructif que le lent et trop esthétisant Chambre de bonne (Maija-Lene Rettig, 2002).


Happy End
Chacun cherche son chat de Cédric Klapisch
Le cinéma, on le voit, apprécie les paysages qui en dissimulent d'autres. Filmer un toit, c'est passer d'une façade à une autre, c'est survoler les rues et les cours, modifier les distances, reconstituer un décor dans le décor plus ample de la ville, c'est jouer du travelling et du gros plan, du plan fixe et du déroulé accéléré, c'est déranger le spectateur, le déséquilibrer, l'inquiéter, le faire participer au danger qu'affronte le héros. Va-t-il tomber, glisser, disparaître ? Ouf, il a pu se raccrocher à une enseigne ! Mais, elle se détache du mur… et les poursuivants arrivent ! Opportunément, une fenêtre s'entrouvre et le héros s'y engouffre, il est sauvé ! Les spectateurs se décontractent. Les poursuivants déçus et penauds s'en retournent. L'hélicoptère - imaginons sa présence - dessine une étonnante arabesque dans le ciel dégagé. Le héros découvre que la personne qui l'accueille est jeune et jolie... Le happy end appartient au cinéma, tout comme le toit à la maison. Tout va bien. Les choses sont en ordre.


Filmographie sélective
Cette filmographie reprend une sélection de films cités dans ce parcours thématique évoquant la capitale.


de René Clair
fiction, 1930, noir et blanc, 1h28min
de Marcel Carné
fiction, 1938, noir et blanc, 1h33min
de Marcel Carné
fiction, 1939, noir et blanc, 1h26min
de Marcel L'Herbier
fiction, 1941, noir et blanc, 1h27min
de Christian Stengel
fiction, 1945, noir et blanc, 1h39min
de Julien Duvivier
fiction, 1946, noir et blanc, 1h32min
de René Clément
fiction, 1955, noir et blanc, 1h52min
de Jean Delannoy
fiction, 1956, couleur, 1h59min
de Louis Malle
fiction, 1957, noir et blanc, 1h27min
de Julien Duvivier
fiction, 1957, noir et blanc, 1h53min
de Julien Duvivier
fiction, 1960, noir et blanc, 1h32min
réalisation collective
fiction, 1965, couleur, 1h32min
de Jean-Luc Godard
fiction, 1965, couleur, 1h45min
de Gérard Oury
fiction, 1966, couleur, 1h59min
de Henri-Georges Clouzot
fiction, 1968, couleur, 1h42min
de Georges Franju
fiction, 1974, couleur, 1h40min
de Henri Verneuil
fiction, 1974, couleur, 2h01min
de Eric Rochant
fiction, 1989, couleur, 1h24min
de Mathieu Kassovitz
fiction, 1995, noir et blanc, 1h38min
de Cédric Klapisch
fiction, 1996, couleur, 1h27min
de Olivier Assayas
fiction, 1996, couleur, 1h35min
de Siegfried
fiction, 1998, couleur, 1h45min
de Jacques Rivette
fiction, 2001, couleur, 2h28min
Bibliographie
Le toit, seuil du cosmos, Thierry Paquot, Alternatives, 2003
Entre ciel et terre, les toits de Paris, Catherine Vialle, Parigramme, 2000
En écho
Sur le site du Forum des images
Paris souterrain

 

Le Paris d'Alexandre Trauner, par Jean-Pierre Berthomé

 

Thierry Paquot
Thierry Paquot est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l'architecture et à l'urbanisme, notamment La ville au cinéma (co-dirigé avec Thierry Jousse, 2005). De 1994 à 2012, il fut l'éditeur de la revue Urbanisme.
février 2004

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