LE PORTAIL DES FILMS
SUR PARIS ET LA REGION ILE-DE-FRANCE

 

Île de France

Mairie de Paris

 

Parcours
Paris-sur-Seine
par Thierry Paquot
P108
Le Pont-Neuf empaqueté par Christo
collection Paris Île-de-France
Qui oserait, parmi nos lecteurs, imaginer que les cinéastes, fous de Paris, ignoreraient le fleuve qui la traverse, la protège, l'enlace et la magnifie ? Impossible ! Cela coule de source, en quelque sorte, et le cinéma honore la Seine qui le lui rend bien, se fait volontiers photogénique, prend des pauses et parfois devient capricieuse comme une star au point d'effectuer quelques débordements…


Paris les pieds dans l'eau
Les inondations de 1910 (Inondations à Paris au début du siècle, montage d'actualités Gaumont), de 1955 (Grève RATP, Jean Guilliem, 1955), de 1978 (La Seine pas saine, Francis Lepetit, 1992) montrent la capitale les pieds dans l'eau avec des allures d'une Venise inquiète et meurtrie.

Jean-Luc Godard, avec la complicité de François Truffaut, raconte Une histoire d'eau (1958), en amont de Paris, à Villeneuve-Saint-Georges pas encore totalement urbanisée, où l'eau recouvre la campagne et menace la grande ville, prétexte pour une rencontre inattendue entre une jeune étudiante qui fait du stop et un automobiliste beau parleur (Jean-Claude Brialy) ravi d'une telle opportunité pour flirter… Cet exercice stylistique correspond bien à la "griffe" Godard, avec ses répétitions, ses surcharges volontaires, ses décalages entre le son et l'image, ses jeux de mots littéraires et son soupçon de dérision.


La Seine, de Langres à Honfleur
La Seine, comme chacun le sait, a sa source au plateau de Langres (471 m) et après 776 kilomètres de parcours, plus ou moins méandreux, s'en va rejoindre la Manche, dans le vaste estuaire qui baigne Le Havre et Honfleur. La vie d'un fleuve (Jean Lods, 1931) accumule les clichés et laborieusement suit le fleuve, sans jamais marquer un quelconque étonnement. De même, le patriotique et cocardier Paris en technicolor (Jean-Claude Bernard, 1946) se rapproprie les hauts lieux de la capitale, dont les bords de Seine après leur occupation par l'armée ennemie (le même réalisateur avait glorifié ces monuments en 1932 dans un autre documentaire, Paris au fil de l'eau).

Changement de ton et d'époque, avec le poétique La Seine a rencontré Paris de Joris Ivens (1958, primé à Cannes), sur un texte de Jacques Prévert - qui ne peut s'empêcher de parodier Prévert ! - où le spectateur découvre l'incroyable diversité des sites fluviaux (quais, entrepôts, ponts, écluses, rivages…) et des "populations" (pêcheurs, clochards, flâneurs, touristes, amoureux, mannequins…), toujours filmés avec délicatesse et sympathie. "La Seine c'est une usine" dit un manœuvre (avec la voix de Serge Reggiani), et l'on voit le déchargement de briques, la danse hésitante des grues, l'obstination du marinier. "La Seine, c'est l'amour" dit le poète sur des images de bouillonnement d'écume provoqué par le passage d'un bateau…


Histoires de ponts
Le pont symbolise la relation entre les deux rives d'un fleuve, leur unification, il participe à la fabrication d'un paysage et les liens qu'il favorise en font un lieu privilégié pour les rencontres, mais aussi pour les échanges, comme nous le rappelle le pont au Change, créé sous Philippe le Bel. Paris n'avait alors que quatre ponts - dont le pont Saint-Michel appelé un temps "Pont-neuf"… jusqu'à la pose de la première pierre du futur Pont-Neuf par Henri III en 1578 (Autour du Pont-Neuf, Jack Sanger, 1965) - tous bâtis de maisons, encombrés de passants, et tous régulièrement détruits, soit par un incendie, soit par une crue.

Avec son extension géographique, l'accroissement de sa population et la démultiplication de ses activités économiques, Paris se dote, au fil du temps, de nombreux ponts aux matériaux et aux procédés de construction marqués du sceau de leur époque. Du pont du Jour à Charenton, sur les quais du vieux Paris (Georges Auger, 1936) montre bien cette longue histoire des techniques et de la domestication progressive du fleuve, de mieux en mieux endigué.

Incontestablement, c'est le Pont-Neuf qui attire l'œil des cinéastes. Qui a oublié Les amants du Pont-Neuf (1991) de Léos Carax avec Juliette Binoche ? Pourtant, l'idylle pour le moins torturée entre un clochard au pied plâtré et une jeune femme avec un œil bandé retiendra l'attention des critiques, alors que le public se souvient surtout de l'invraisemblable et dispendieuse reconstitution du pont aux environs de Montpellier (Le Pont-Neuf des amants, Laurent Canches, 1991, avec les témoignages de Michel Vandestien et Thomas Peckre, concepteurs du décor).

Ce pont fut aussi mis en vedette, quelques années plus tôt, lorsqu'un artiste s'évertua à l'emballer, opération suivie de prés par Chris Marker (From Chris to Christo, 1985) et Alain Esmery (Empaquetage du Pont-Neuf par Christo, 1986).


Rêves maritimes
Cette même année, la Seine accueillait une grève particulière, celle des bateliers, qui expriment leur mécontentement dans Ras le bol sous les ponts de Paris de Carole Roussopoulos et Manifestation des bateliers (série Paris au jour le jour). Les chalands (1911), délicieuse fiction signée par Georges-André Lacroix, expose l'indignation d'un couple de mariniers, dont la fille a jeté son dévolu sur un carrier, autant dire un "étranger" ! Ce film fait indéniablement penser au remarquable film de Jean Vigo, L'Atalante (1933-34), qui sortit sur les écrans avec un titre particulièrement nunuche, Le chaland qui passe ! Michel Simon, Dita Parlo et Jean Dasté interprètent avec force cette fable aux accents libertaires.

Vivre sur une péniche, sans être marinier, est le sort de Jean-Pierre Léaud, dans une comédie plus oubliable, Les lolos de Lola (Bernard Dubois, 1974). Et travailler au bord de l'eau sans être marinier et sans loger sur un bateau, c'est le cas des bouquinistes, que rencontre avec déférence Philippe Esnault dans Les marges du fleuve (1988). Emouvante rencontre entre le livre et le fleuve, plus proches qu'il n'y paraît, l'un comme l'autre semblent immuables alors même qu'ils se renouvellent sans cesse… Tous les deux charrient des rêves maritimes, des espoirs voyageurs et aussi… des cadavres !


Les mystères de la Seine
A l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, Peter Greenaway s'est penché, tel un médecin légiste, sur l'origine et le destin de vingt-cinq noyés, parmi trois cents six qui ont été repêchés entre 1795 et 1801 (Les morts de la Seine, 1989). Alberto Cavalcanti relate la triste histoire de La p'tite Lilie (1927), jeune prostituée poignardée au bord du fleuve par son affreux mac, sur une musique de Darius Milhaud. Robert Florey adapte une nouvelle d'Edgar Allan Poe, Double assassinat dans la rue Morgue (1932), tourné en studio aux Etats-Unis et nettement marqué par l'expressionnisme allemand… Cette Seine mystérieuse, enveloppée de brouillard et de nuit, n'est ni celle que chante si bien Apollinaire ni celle qu'apprécie tant Pierre Mac Orlan.

Michel Simon sur les quais de la Seine dans Boudu sauvé des eaux
Quittons cette sombre et épouvantable ambiance pour un suicide traité sur le mode de la fantaisie, Boudu sauvé des eaux (1932) de Jean Renoir, avec Michel Simon dans le rôle d'un clochard qui rate sa noyade et perturbe le conformisme bourgeois au sein de la famille de son sauveur. Farce sociale, dénonciation de l'hypocrisie des nantis, populisme joyeux, dans laquelle la Seine ne fait que quelques furtives apparitions.

Paris n'a jamais boudé la Seine, comme d'autres villes qui ostensiblement tournent le dos à leur fleuve, c'est elle qui figure sur ses armoiries, c'est elle qui imprègne son imaginaire, calme ses ardeurs, pacifie ses tensions, réconcilie les amoureux, un instant fâchés. Il y a de l'amour entre ce fleuve et cette ville, et ce sentiment est communicatif, méfiez-vous !


Filmographie sélective
Fictions
Courts métrages
de Georges-André Lacroix
1911, 14min
de Alberto Cavalcanti
1927, 13min
de Jean-Luc Godard et François Truffaut
avec Jean-Claude Brialy
1958, 12min
Longs métrages
de Jean Renoir
avec Michel Simon
1932, 1h21min
de Robert Florey
avec Bela Lugosi
1932, 1h01min
de Jean Vigo
1934, 1h30min
de Bernard Dubois
avec Jean-Pierre Léaud
1974, 1h20min
de Léos Carax
1991, 2h05min
de Woody Allen
avec Woody Allen
1996, 1h37min
de Otar Iosseliani
1999, 1h52min
Documentaires et actualités
Films Lumière
opérateur Lumière
1897-98, 2min
opérateur Lumière
1896-97, 51s
opérateur Lumière
1896-97, 49s
Actualités
montage d'actualités Gaumont
1910, 19min
montage d'actualités Gaumont
avant 1930, 11min
montage d'actualités Gaumont
avant 1930, 8min
Documentaires
de Jean Lods
1931, 24min
de Jean-Claude Bernard
1932, 14min
de Jean-Claude Bernard
1932, 14min
de Jean Guilliem
1955, 1min20s
de Joris Ivens
1958, 30min
Autour du Pont-Neuf, série Histoires de Paris
de Jack Sanger
1965, 6min11s
de Frédéric Compain
1978, 9min
de Chris Marker
1985, 24min
Manifestation des bateliers, série Paris au jour le jour
réalisation Forum des images
1985, 9min
de Carole Roussopoulos
1985, 10min
de Dominique Guyot
1985, 10min
de Alain Esmery
1986, 3min24s
de Philippe Esnault
1988, 26min
de Peter Greenaway
1989, 44min
de Francis Lepetit
1992, 4min18s
Making-off des Amants du Pont-Neuf
de Laurent Canches
1991, 54min
de Laurent Canches
1993, 1h23min
Bibliographie
Ouvrage de référence
La Seine et ses bords, Charles Nodier, Au bureau de la publication, 1836
Sur l'origine du nom Sequana
"A propos du nom de la Seine", P. Fouché, in Le Français moderne, tome 10, 1942
Sur l'histoire de Paris et de la Seine
Paris, genèse d'un paysage, Louis Bergeron (dir.), Picard, 1989
Les inconnus de la Seine, Simon Lacordaire, Hachette Littérature, 1985
Ponts de Paris, Jocelyne Van Deputte, Sauret/Paris-Musées, 1994
Et aussi…
Paris sur Seine, François Beaudoin, Nathan, 1989
Quais et ponts de Paris, guide historique , Martelle, 1996
Sur les quais. Un point de vue parisien, Alexandre Chemetoff et Bertrand Lemoine, Picard, 1998
Thierry Paquot
Thierry Paquot est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l'architecture et à l'urbanisme, notamment La ville au cinéma (co-dirigé avec Thierry Jousse, 2005). De 1994 à 2012, il fut l'éditeur de la revue Urbanisme.
juillet 2004

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