Parcours
|
par Franck Garbarz
|
P106 | |||||
Tous les garçons s'appellent Patrick de Jean-Luc Godard
collection Paris Île-de-France
|
Du Panthéon à la rue Soufflot, du quartier Mouffetard au jardin du Luxembourg, les cinéastes les plus divers ont fait du Quartier
latin le cadre idéal de leurs intrigues amoureuses et le lieu emblématique de l'hommage rendu à la capitale. Qu'ils y viennent
en quête de désir, ou encore pour échapper à la rive droite bourgeoise ou à la modernité étouffante, les personnages cinématographiques
transitent souvent par le Quartier latin…
|
|
|
|
|
|
|
|
|||||
Le Quartier latin est avant tout habité par l'esprit estudiantin. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les terrasses de
cafés de la rue Soufflot ou les rues qui débouchent sur la place du Panthéon incitent à la flânerie et à l'insouciance. D'ailleurs,
lorsqu'il recrée un Paris de carte postale en studio dans La bohème (1987), Luigi Comencini ne s'y trompe pas : le Quartier latin, décor théâtralisé, devient l'espace par excellence des cafés,
des étudiants et des rendez-vous d'amoureux…
Dans La carrière de Suzanne (1963), qui fait partie des Six contes moraux d'Eric Rohmer, la jeune héroïne révise ses cours au café Le Luco, tout en restant disponible pour d'éventuelles rencontres…
De même, dans La guerre est finie (1966) d'Alain Resnais, la place de la Contrescarpe, la rue Soufflot, la place du Panthéon et la rue Champollion sont autant
d'espaces d'insouciance où l'on s'attarde à la terrasse des cafés et où flirtent les étudiants - espaces qui tranchent singulièrement
avec la tension dramatique quasi palpable qui traverse le film. Vers la même époque, Claude Chabrol, dans Les cousins (1958), témoigne de bien plus de cynisme en contant les aventures d'un provincial "monté" à Paris : "l'Association", club privé du boulevard Saint-Michel où se retrouvent les étudiants, est un lieu pour âmes esseulées qui tentent de tromper
leur ennui ou leur peine - et qui flirtent sans grande conviction. On est certes bien loin des terrasses ensoleillées de Rohmer
- le club évoque presque un tripot clandestin -, mais on s'y épanche tout autant sur ses Illusions perdues (titre du roman de Balzac qu'offre le libraire au protagoniste).
Pour autant, le Quartier latin n'incite pas que les étudiants à la flânerie amoureuse. Avec son premier long métrage, Un monde sans pitié (1989), Eric Rochant signe un manifeste du renouveau d'un certain cinéma naturaliste à la française : la rue Soufflot et
la place du Panthéon, où le cinéaste situe ses chassés-croisés amoureux, deviennent le théâtre d'un certain désenchantement
et d'une sorte d'errance urbaine. Déboussolé par son époque, le héros campé par Hippolyte Girardot n'hésite pas à prendre
le Panthéon à témoin de son désarroi grandissant. Dans un tout autre registre, Jacques Doillon, sans doute influencé par le
naturalisme d'un Pialat, propose dans Le jeune Werther (1993) une circulation des sentiments contiguë à une circulation des personnages à travers le Quartier latin : la place du
Panthéon, la rue Soufflot et la rue Monge retrouvent une fraîcheur inédite devant la caméra du cinéaste.
|
|
|||||
Les abords du Panthéon représentent aussi un espace de liberté, rempart à la fois contre le conservatisme des quartiers huppés
de la rive droite et la modernité envahissante. Dans Rue de l'Estrapade (1953), Jacques Becker oppose le mode de vie bourgeois du couple marié, installé quai Louis Blériot (16e arrondissement),
au Paris bohème de Daniel Gélin : avec ses chambres mansardées, ses cuisines communes et l'eau courante sur le palier, les
petits meublés de la rue de l'Estrapade sont l'incarnation même d'un esprit "rive gauche" résolument bohème.
De même, dans Les gaspards (1973), en racontant l'initiative criminelle d'un ministre des travaux publics voulant "prendre Paris à coups de bulldozer", Pierre Tchernia filme amoureusement le Panthéon et la rue de la Montagne Sainte-Geneviève où Michel Serrault tient sa librairie
de livres anciens… Le 5e arrondissement devient le quartier de la Résistance, un coin de maquisards qui tentent de préserver
un mode de vie à l'ancienne. On songe par moments aux Mystères de Paris d'Eugène Sue…
De son côté, la rue Mouffetard - parfois familièrement surnommée la "Mouff" - polarise un certain Paris populaire menacé de disparition. Dans Sous le ciel de Paris... (1951), véritable déclaration d'amour de Julien Duvivier à la capitale, la rue Mouffetard évoque un village en plein cœur
de la métropole : les marchands des quatre saisons, le boucher et la vieille dame contrainte de mendier pour nourrir ses chats
composent un monde grouillant de gens humbles. Trente ans plus tard, Jean-Paul Rappeneau, dans Tout feu, tout flamme (1981), tourne lui aussi à la "Mouff" : si le quartier n'a guère changé, avec ses commerçants et sa clientèle d'habitués, l'évocation de la vente de l'immeuble,
symbole de l'ancrage de la famille dans le quartier, signale que ce monde-là est en pleine mutation.
|
|
|||||
On reste dans le registre amoureux, mais bien plus littéraire, avec La lettre (1999) de Manoel de Oliveira : adaptation contemporaine de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, ce film joue sur le contraste entre le texte littéraire et la période actuelle. Le jardin du Luxembourg,
filmé comme un petit écrin de verdure, est le site idéal des aveux de Madame de Clèves à son mari… Autres jeux de l'amour
et du hasard, sous un jour plus burlesque mais non dénué de poésie : Pour rire ! (1996) de Lucas Belvaux qui détourne brillamment le triangle mari jaloux/femme infidèle/jeune amant et fait du Luxembourg,
là encore, le théâtre de chassés-croisés amoureux…
Pour d'autres cinéastes, ce jardin est un lieu de réconfort, après des tempêtes sentimentales éprouvantes. C'est le cas de
Brigitte Roüan dans Post-coitum animal triste (1997), où un coup de foudre entre une femme quadragénaire et un homme de vingt ans son cadet vire à la passion mortifère.
Le jardin du 6e arrondissement donne un peu de fraîcheur à cette atmosphère pesante et met du baume sur les blessures de la
protagoniste. De même, dans La fille seule (1995) de Benoît Jacquot, l'espace vert du Sénat est un havre de paix pour Virginie Ledoyen qui trouve enfin un peu de sérénité
et semble vivre sa maternité dans l'épanouissement.
|
|
|||||
Paris au cinéma, N.T. Binh et Franck Garbarz, Parigramme, 2003
Ciné-Paris, Christophe Casazza et Virginie Descure, Hors collection, 2003
|
|||||
|
|
|||||||
A la découverte du 5e arrt | |||||||
|
|||||||
Cafés de Paris | |||||||
|
|||||||
Années 1968- Paris, Mai 68 | |||||||
|
|||||||
Le Paris de Manoel de Oliveira, par Anne Huet | |||||||
|
Franck Garbarz
Rédacteur à la revue Positif, Franck Garbarz a notamment participé à l'ouvrage Paris au cinéma (Parigramme, 2003).
juin 2004
mise à jour 27 novembre 2008
|
Rechercher
Pour choisir un film, taper un ou plusieurs mots (nom, thème, titre, collection, auteur...):